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KRUSCHISTES ET ANTIKRUSCHISTES

Si Buda fut pendant un siècle et demi la résidence d’un pacha, l’une des plus importantes places fortes de l’Empire Ottoman, si elle dut se résigner à être cité turque, elle est actuellement bien autrichienne, plus même qu’elle n’est hongroise, bien qu’elle soit officiellement considérée comme capitale de la Hongrie. Mais elle ne possède que cinquante mille habitants ; ses édifices publics, cathédrale, églises et palais n’occupent point un rang élevé dans l’art architectural ; commerce et industrie y sont à peu près nuls. C’est une ville militaire, une ville à « régiments qui passent », une ville à patrouilles qui parcourent les rues à toute heure. Elle a un château, un arsenal, un théâtre, elle est la résidence du gouverneur et des autorités militaires et civiles. Et malgré tous ces avantages, elle est à bon droit jalouse de Pest, qui lui fait face de l’autre côté du grand fleuve.

Pest, au contraire, c’est la vie intense, avec cent trente et un mille habitants, c’est l’animation commerciale, c’est la ville des Magyars, autant dire une cité de gentilshommes. À Pest se tient la Diète et fonctionnent les hautes cours de justice. Ses théâtres, ses promenades sont fréquentés et les touristes trouvent le temps trop court dans une ville où l’on aime à la folie la musique et la danse. Et puis, quatre foires par an, où les affaires se traitent par millions. Si ses monuments ne dépassent point en valeur artistique ceux de sa rivale, son jardin public, le Stadtvallchen, est un parc délicieux avec frais ombrages, eaux vives, pelouses verdoyantes, petits lacs où circulent d’élégantes embarcations. Avec toutes ces attractions, on comprendra que Pest ait quelque dédain pour Buda.

Ce n’est donc pas seulement le Danube qui sépare les deux cités, c’est tout un ensemble de mœurs, de coutumes, de caractères, dont le contraste est frappant.

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