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la maison à vapeur.

cependant : lorsque vous aurez atteint Bénarès, quelle direction comptez-vous suivre ?

— La direction du nord ! s’écria impétueusement le capitaine Hod, la route qui remonte directement jusqu’aux premières rampes de l’Himalaya à travers le royaume d’Oude !

— Eh bien, mes amis, à ce moment… répondit le colonel Munro, peut-être vous demanderai-je de… Mais nous en parlerons lorsqu’il sera temps. Jusque-là, allez comme bon vous semble ! »

Cette réponse de sir Edward Munro ne laissa pas de m’étonner quelque peu. Quelle était donc sa pensée ? N’avait-il consenti à entreprendre ce voyage qu’avec l’idée que le hasard le servirait peut-être mieux que sa volonté n’avait pu le faire ? Se disait-il que si Nana Sahib n’était pas mort, il parviendrait peut-être à le retrouver dans le nord de l’Inde ? Avait-il enfin conservé quelque espérance de pouvoir se venger encore ? Pour moi, j’avais comme un pressentiment que quelque arrière-pensée guidait le colonel Munro, et il me sembla que le sergent Mac Neil devait être dans le secret de son maître.

Pendant les premières heures de cette matinée, nous avions pris place dans le salon de Steam-House. La porte et les deux fenêtres de la vérandah étaient ouvertes, et la punka, en agitant l’air, rendait la température plus supportable.

Le Géant d’Acier était maintenu au pas par le régulateur de Storr. Une petite lieue à l’heure, c’était tout ce que lui demandaient, pour le moment, des voyageurs soucieux de voir le pays qu’ils traversaient.

Au sortir des faubourgs de Calcutta, nous avions été suivis par un certain nombre d’Européens, qu’émerveillait notre équipage, et par une foule d’Indous qui le considéraient avec une sorte d’admiration mêlée de crainte. Cette foule s’était peu à peu éclaircie, mais nous n’échappions pas à l’ébahissement des passants qui prodiguaient leurs « wahs ! wahs ! » admiratifs. Il va sans dire que toutes ces interjections étaient moins pour les deux superbes chars que pour le gigantesque éléphant qui les traînait en vomissant des tourbillons de vapeur.

À dix heures, la table fut dressée dans la salle à manger, et moins secoués, certainement, que nous ne l’eussions été dans le compartiment d’un wagon-salon de première classe, nous fîmes honneur au déjeuner de monsieur Parazard.