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premières étapes.

grande cité n’avait plus maintenant de secrets pour moi. Promenades du matin, à pied, pendant les premières heures du jour ; promenades du soir, en voiture, dans le Strand, jusqu’à l’esplanade du fort William, au milieu des splendides équipages des Européens qui croisent assez dédaigneusement les non moins splendides voitures des gros et gras babous indigènes ; excursions à travers ces curieuses rues marchandes, qui portent très justement le nom de bazars ; visites aux champs d’incinération des morts, sur les bords du Gange, aux jardins botaniques du naturaliste Hooker, à « madame Kâli », l’horrible femme à quatre bras, cette farouche déesse de la mort, qui se cache dans un petit temple de l’un de ces faubourgs, dans lesquels se côtoient la civilisation moderne et la barbarie native, c’était fait. Contempler le palais du vice-roi, qui s’élève précisément en face de l’hôtel Spencer ; admirer le curieux palais de Chowringhi Road et le Town-Hall, consacré à la mémoire des grands hommes de notre époque ; étudier en détail l’intéressante mosquée d’Hougly ; courir le port, encombré des plus beaux bâtiments de commerce de la marine anglaise ; dire enfin adieu aux arghilas, adjudants ou philosophes, — ces oiseaux ont tant de noms ! — qui sont chargés de nettoyer les rues et de tenir la ville dans un parfait état de salubrité, cela était fait aussi, et je n’avais plus qu’à partir.

Donc, ce matin-là, un palki-ghari, sorte de mauvaise voiture à deux chevaux et à quatre roues, — indigne de figurer parmi les confortables produits de la carrosserie anglaise, — vint me prendre sur la place du Gouvernement et m’eut bientôt déposé à la porte du bungalow du colonel Munro.

À cent pas en dehors du faubourg, notre train nous attendait. Il n’y avait plus qu’à emménager, — c’est le mot.

Il va sans dire que nos bagages avaient été préalablement déposés dans leur compartiment spécial. Nous n’emportions d’ailleurs que le nécessaire. Seulement, en fait d’armes, le capitaine Hod n’avait pas pensé que l’indispensable pût comprendre moins de quatre carabines Enfield, à balles explosibles, quatre fusils de chasse, deux canardières, sans compter un certain nombre de fusils et de revolvers, — de quoi armer tout notre monde. Cet attirail menaçait plus les fauves que le simple gibier comestible, mais on n’eût pas fait entendre raison à ce sujet au Nemrod de l’expédition.

Il était enchanté d’ailleurs, le capitaine Hod ! Le plaisir d’arracher son colonel à la solitude de sa retraite, la joie de partir pour les provinces septentrionales de l’Inde dans un équipage sans pareil, la perspective d’exercices ultra-