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le cinquantième tigre du capitaine hod

Et maintenant, de l’éléphant artificiel dont les hôtes de Steam-House se montraient si fiers, de ce colosse qui provoquait la superstitieuse admiration des Indous, du chef-d’œuvre mécanique de l’ingénieur Banks, de ce rêve réalisé du fantaisiste rajah de Bouthan, il ne restait plus rien qu’une carcasse méconnaissable et sans valeur !

« Pauvre bête ! ne put s’empêcher de s’écrier le capitaine Hod, devant le cadavre de son cher Géant d’Acier.

— On pourra en fabriquer un autre… un autre, qui sera plus puissant encore ! dit Banks.

— Sans doute, répondit le capitaine, en laissant échapper un gros soupir, mais ce ne sera plus lui ! »

Pendant qu’ils se livraient à ces investigations, l’ingénieur et ses compagnons eurent la pensée de rechercher s’ils ne trouveraient pas quelques restes de Nana Sahib. À défaut de la figure du nabab, facile à reconnaître, celle de ses mains à laquelle il manquait un doigt leur eût suffi pour constater l’identité. Ils auraient bien voulu avoir cette preuve incontestable de la mort de celui qu’on ne pouvait plus confondre avec Balao Rao, son frère.

Mais aucun des débris sanglants, qui jonchaient le sol, ne semblait avoir appartenu à celui qui fut Nana Sahib. Ses fanatiques avaient-ils emporté jusqu’au dernier vestige de ses reliques ? Cela était plus que probable.

Il devait néanmoins en résulter ceci : c’est que, puisqu’il n’y avait aucune preuve certaine de la mort de Nana Sahib, la légende allait reprendre ses droits ; c’est que, dans l’esprit des populations de l’Inde centrale, l’insaisissable nabab passerait toujours pour vivant, en attendant que l’on fit un dieu immortel de l’ancien chef des Cipayes.

Mais, pour Banks et les siens, il n’était pas admissible que Nana Sahib eût pu survivre à l’explosion.

Ils revinrent à la station, non sans que le capitaine Hod eût ramassé un morceau d’une des défenses du Géant d’Acier, — précieux débris, dont il voulait faire un souvenir.

Le lendemain, 4 octobre, tous quittaient Jubbulpore dans un wagon mis à la disposition du colonel Munro et de son personnel. Vingt-quatre heures plus tard, ils franchissaient les Ghâtes occidentales, ces Andes indoues, qui se développent sur une longueur de trois cent soixante lieues, au milieu d’épaisses forêts de banians, de sycomores, de teks, entremêlés de palmiers, de cocotiers, d’areks, de poivriers, de sandals, de bambous. Quelques heures après, le