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la maison à vapeur.

Là, lorsque Kâlagani voulut quitter le train flottant, sous prétexte de se rendre à Jubbulpore, il se laissa deviner. Si maître de lui qu’il fût, un simple phénomène physiologique, qui ne pouvait échapper à la perspicacité du colonel, l’avait rendu suspect, et l’on sait maintenant que les soupçons de sir Edward Munro n’étaient que trop justifiés.

On le laissa partir, mais Goûmi lui fut adjoint. Tous deux se précipitèrent dans les eaux du lac, et, une heure après, ils avaient atteint la rive sud-est du Puturia.

Les voilà donc, marchant de concert, dans cette nuit obscure, l’un soupçonnant l’autre, l’autre ne se sachant pas soupçonné. L’avantage était alors pour Goûmi, ce second Mac Neil du colonel Munro.

Pendant trois heures, les deux Indous allèrent ainsi sur cette grande route, qui traverse les chaînons méridionaux des Vindhyas pour aboutir à la station de Jubbulpore. Le brouillard était beaucoup moins intense dans la campagne que sur le lac. Goûmi surveillait de près son compagnon. Un solide couteau était attaché à sa ceinture. Au premier mouvement suspect, très expéditif de caractère, il se proposait de bondir sur Kâlagani et de le mettre hors d’état de nuire.

Malheureusement, le fidèle Indou n’eut pas le temps d’agir comme il l’espérait.

La nuit, sans lune, était noire. À vingt pas, on n’eût pas distingué un homme en marche.

Il arriva donc, à l’un des tournants du chemin, qu’une voix se fit brusquement entendre, appelant Kâlagani.

« Oui ! Nassim ! » répondit l’Indou.

Et, au même moment, un cri aigu, très bizarre, retentit sur la gauche de la route.

Ce cri, c’était le « kisri » de ces farouches tribus du Gondwana, que Goûmi connaissait bien !

Goûmi, surpris, n’avait pu rien tenter. D’ailleurs, Kâlagani mort, qu’aurait-il pu faire contre toute une bande d’Indous à laquelle ce cri devait servir de ralliement. Un pressentiment lui dit de fuir, pour essayer le prévenir ses compagnons. Oui ! rester libre, d’abord, puis revenir au lac, et chercher à rejoindre à la nage le Géant d’Acier pour l’empêcher d’accoster la rive, il n’y avait pas autre chose à faire.

Goûmi n’hésita pas. Au moment où Kâlagani rejoignait ce Nassim qui lui