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la maison à vapeur.

« Mais quels seraient donc les projets de Kâlagani, demanda Banks, et pourquoi nous trahirait-il ?

— C’est ce que nous saurons plus tard… répondit le colonel Munro, trop tard peut-être !

— Trop tard, mon colonel ! s’écria le capitaine Hod ! Eh ! nous ne sommes pas en perdition, j’imagine !

— En tout cas, Munro, reprit l’ingénieur, tu as bien fait de lui adjoindre Goûmi. Celui-là nous sera dévoué jusqu’à la mort. Adroit, intelligent, s’il soupçonne quelque danger, il saura…

— D’autant mieux, répondit le colonel Munro, qu’il est prévenu et se défiera de son compagnon.

— Bien, dit Banks. Maintenant, nous n’avons plus qu’à attendre le jour. Ce brouillard se lèvera sans doute avec le soleil, et nous verrons alors quel parti prendre ! »

Attendre, en effet ! Cette nuit devait donc se passer encore dans une insomnie complète.

Le brouillard s’était épaissi, mais rien ne faisait présager l’approche du mauvais temps. Et cela était heureux, car, si notre train pouvait flotter, il n’était pas fait pour « tenir la mer. » On pouvait donc espérer que toutes ces vésicules de vapeur se condenseraient au lever du jour, ce qui assurerait une belle journée pour le lendemain.

Donc, tandis que notre personnel prenait place dans la salle à manger, nous nous installâmes sur les divans du salon, causant peu, mais prêtant l’oreille à tous les bruits du dehors.

Tout à coup, vers deux heures après minuit, un concert de fauves vint troubler le silence de la nuit.

La rive était donc là, dans la direction du sud-est, mais elle devait être assez éloignée encore. Ces hurlements étaient encore très affaiblis par la distance, et cette distance, Banks ne l’évalua pas à moins d’un bon mille. Une troupe d’animaux sauvages, sans doute, était venue se désaltérer à la pointe extrême du lac.

Mais, bientôt aussi, il fut constaté que, sous l’influence d’une légère brise, le train flottant dérivait vers la rive, d’une façon lente et continue. En effet, non seulement ces cris arrivaient plus distinctement à notre oreille, mais on distinguait déjà le grave rugissement du tigre du hurlement enroué des panthères.