« Dans le Sunderbund, reprit-il, ils sont chez eux ! Là, ils règnent en maîtres, et malheur à qui tenterait de leur disputer ce territoire ! Dans les Nilgheries, ils rôdent en masse, comme des chats sauvages,
Vous comprendrez, dès lors, pourquoi ces félins superbes sont demandés sur tous les marchés de l’Europe et font l’orgueil des belluaires ! Quelle est la grande attraction des ménageries publiques ou privées ? Le tigre ! Quand craignez-vous pour la vie du dompteur ? Lorsque le dompteur entre dans la cage du tigre ! Quel animal les rajahs payent-ils au poids de l’or pour l’ornement de leurs jardins royaux ? Le tigre ! Qui fait prime aux bourses animalières de Londres, d’Anvers, de Hambourg ? Le tigre ! Dans quelles chasses s’illustrent les chasseurs indiens, officiers de l’armée royale ou de l’armée native ? Dans la chasse au tigre ! Savez-vous, messieurs, quel plaisir les souverains de l’Inde indépendante offrent à leurs hôtes ? On amène un tigre royal dans une cage. La cage est placée au milieu d’une vaste plaine. Le rajah, ses invités, ses officiers, ses gardes, sont armés de lances, de revolvers et de carabines, et pour la plupart montés sur de vaillants solipèdes…
— Solipèdes ? dit le capitaine Hod.
— Leurs chevaux, si vous préférez ce mot un peu vulgaire. Mais déjà ces solipèdes, effrayés par le voisinage du félin, son odeur sauvage, l’éclair qui jaillit de ses yeux, se cabrent, et il faut toute l’adresse de leurs cavaliers pour les retenir. Soudain, la porte de la cage est ouverte ! Le monstre s’élance, il bondit, il vole, il se jette sur les groupes épars, il immole à sa rage une hécatombe de victimes ! Si quelquefois il parvient à briser le cercle de fer et de feu qui l’étreint, le plus souvent il succombe, un contre cent ! Mais, au moins, sa mort est glorieuse, elle est vengée d’avance !
— Bravo ! monsieur Mathias Van Guitt, s’écria le capitaine Hod, qui s’animait à son tour. Oui ! cela doit être un beau spectacle ! Oui ! le tigre est le roi des animaux !
— Une royauté qui défie les révolutions ! ajouta le fournisseur.
— Et si vous en avez pris, monsieur Van Guitt, répondit le capitaine Hod, moi j’en ai tué, et j’espère, ne pas quitter le Tarryani avant que le cinquantième ne soit tombé sous mes coups !
— Capitaine, dit le fournisseur en fronçant le sourcil, je vous ai abandonné