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la maison à vapeur.

« Mort aux envahisseurs ! » cria-t-il d’une voix terrible encore, et il retomba sans mouvement.

L’officier s’approcha du cadavre.

« Est-ce bien Nana Sahib ? demanda-t-il.

– C’est lui, répondirent deux soldats du détachement, qui, pour avoir tenu garnison à Cawnpore, connaissaient parfaitement le nabab.

– Aux autres, maintenant ! » cria l’officier.

Et tout le détachement se jeta dans la forêt à la poursuite des Gounds. À peine avait-il disparu, qu’une ombre se glissait sur l’escarpement que couronnait le pâl. C’était la Flamme Errante, enveloppée d’un long pagne brun, que le cordon d’un langouti serrait à la ceinture.

La veille au soir, cette folle avait été le guide inconscient de l’officier anglais et de ses hommes. Rentrée dans la vallée depuis la veille, elle regagnait machinalement le pâl de Tandît, vers lequel une sorte d’instinct la ramenait. Mais, cette fois, l’étrange créature, que l’on croyait muette, laissait échapper de ses lèvres un nom, rien qu’un seul, celui du massacreur de Cawnpore !

« Nana Sahib ! Nana Sahib ! » répétait-elle, comme si l’image du nabab, par quelque inexplicable pressentiment, se fût dressée dans son souvenir.

Ce nom fit tressaillir l’officier. Il s’attacha aux pas de la folle. Celle-ci ne parut pas même le voir, ni les soldats qui la suivirent jusqu’au pâl. Était-ce donc là que s’était réfugié le nabab dont la tête était mise à prix ? L’officier prit les mesures nécessaires et fit garder le lit du Nazzur, en attendant le jour. Lorsque Nana Sahib et ses Gounds s’y furent engagés, il les accueillit par une décharge, qui en jeta plusieurs à terre, et, parmi eux, le chef de l’insurrection des Cipayes.

Telle fut la rencontre que le télégraphe signala le jour même au gouverneur de la présidence de Bombay. Ce télégramme se répandit dans toute la péninsule, les journaux le reproduisirent immédiatement, et ce fut ainsi que le colonel Munro put en prendre connaissance à la date du 26 mai, dans la Gazette d’Allahabad.

Il n’y avait pas à douter cette fois de la mort de Nana Sahib. Son identité avait été constatée, et le journal pouvait dire avec raison : « Le royaume de l’Inde n’a plus rien à craindre désormais du cruel rajah qui lui a coûté tant de sang ! »