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une tête mise à prix.

absolument impossible qu’un homme pût se laisser glisser à la surface de son revêtement. Une corde eût sans doute permis d’en tenter la descente, mais la ceinture qui ceignait les reins du faquir ne mesurait que quelques pieds à peine et ne pouvait lui permettre d’arriver au pied du talus.

Le faquir s’arrêta un instant, jeta un regard autour de lui, et réfléchit à ce qu’il devait faire.

À la crête du rempart s’arrondissaient quelques sombres dômes de verdure, formés par le feuillage des grands arbres qui entourent Aurungabad comme d’un cadre végétal. De ces dômes s’élançaient de longues branches flexibles et résistantes, qu’il était peut-être possible d’utiliser pour atteindre, non sans grands risques, le fond du fossé.

Le faquir, dès que l’idée lui en fut venue, n’hésita pas. Il s’engagea sous un de ces dômes, et reparut bientôt, en dehors de la muraille, suspendu au tiers d’une longue branche qui pliait peu à peu sous son poids. Dès que la branche se fut assez courbée pour frôler l’ourlet supérieur du mur, le faquir se laissa glisser lentement, comme s’il eût tenu une corde à nœuds entre ses mains. Il put ainsi descendre jusqu’à mi-hauteur de l’escarpe ; mais une trentaine de pieds le séparaient encore du sol qu’il lui fallait atteindre pour assurer sa fuite.

Il était donc là, ballant, à bout de bras, suspendu, cherchant du pied quelque entaille qui pût lui donner un point d’appui…

Soudain, plusieurs éclairs sillonnèrent l’obscurité. Des détonations éclatèrent. Le fugitif avait été aperçu par les soldats de garde. Ceux-ci avaient fait feu sur lui, mais sans le toucher. Toutefois, une balle frappa la branche qui le soutenait, à deux pouces au-dessus de sa tête, et l’entama.

Vingt secondes après, la branche se rompait, et le faquir tombait dans le fossé… Un autre s’y fût tué, il était sain et sauf.

Se relever, remonter le talus de la contrescarpe, au milieu d’une seconde grêle de balles qui ne l’atteignirent pas, disparaître dans la nuit, ce ne fut qu’un jeu pour le fugitif.

Deux milles plus loin, il longeait, sans être aperçu, le cantonnement des troupes anglaises, casernées en dehors d’Aurungabad.

À deux cents pas de là, il s’arrêtait, il se retournait, sa main mutilée se dressait vers la ville, et de sa bouche s’échappaient ces mots :

« Malheur à ceux qui tomberont encore au pouvoir de Dandou-Pant ! Anglais, vous n’en avez pas fini avec Nana Sahib ! »