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le changement de mousson.

« Nana Sahib, me dit-il un jour, non, monsieur, non ! il n’est pas possible qu’ils nous l’aient tué ! »

La première journée se passa sans incidents qui vaillent la peine d’être rapportés. Ni le capitaine Hod ni Fox n’eurent l’occasion de mettre en joue le moindre animal. C’était désolant, et même assez extraordinaire pour qu’on pût se demander si l’apparition du Géant d’Acier ne tenait pas à distance les terribles fauves de ces plaines. En effet, on côtoya quelques jungles, qui sont les repaires habituels des tigres et autres carnassiers de la race féline. Pas un ne se montra. Les deux chasseurs s’étaient cependant écartés d’un ou deux milles sur les flancs de notre convoi. Ils durent donc se résigner à emmener Black et Phann, pour chasser le menu gibier, dont monsieur Parazard réclamait sa fourniture quotidienne. Il n’entendait pas raison là-dessus, notre chef noir, et lorsque le brosseur lui parlait de tigres, de guépards ou autres bêtes peu comestibles, il haussait dédaigneusement les épaules en disant :

« Est-ce que cela se mange ! »

Ce soir-là, nous campâmes à l’abri d’un groupe d’énormes banians. Cette nuit fut aussi tranquille que le jour avait été calme. Le silence ne fut pas même troublé par des hurlements de fauves. Notre éléphant reposait, cependant. Ses hennissements ne se faisaient plus entendre. Les feux du campement étaient éteints, et, pour satisfaire le capitaine, Banks n’avait pas même établi le courant électrique, qui changeait les yeux du Géant d’Acier en deux puissants fanaux. Mais rien !

Il en fut de même pendant les journées du 1er et du 2 juin. C’était désespérant.

« On m’a changé mon royaume d’Oude ! répétait le capitaine Hod. On l’a transporté en pleine Europe ! Il n’y a pas plus de tigres ici que dans les basses terres d’Écosse !

– Il est possible, mon cher Hod, répondit le colonel Munro, que des battues aient été récemment faites sur ces territoires, et que les animaux aient émigré en masse. Mais ne vous désespérez pas, et attendez que nous soyons aux pieds des montagnes du Népaul. Vous aurez là de quoi exercer utilement vos instincts de chasseur.

– Il faut l’espérer, mon colonel, répondit Hod en secouant la tête, sans quoi nous n’aurions plus qu’à refondre nos balles pour en faire du petit plomb ! »