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via dolorosa.

l’ingénieur. Cet homme, échappé par miracle, fut recueilli par le rajah de Raïschwarah, l’une des provinces du royaume d’Oude, lequel le reçut, ainsi que quelques autres fugitifs, avec la plus grande humanité.

– Et lady Munro et sa mère, que devinrent-elles ?

– Mon cher ami, me répondit Banks, nous n’avons plus le témoignage direct de ce qui s’est passé depuis cette date, mais il n’est que trop facile de le conjecturer. En effet, les Cipayes étaient maîtres de Cawnpore. Ils le furent jusqu’au 15 juillet, et pendant ces dix-neuf jours, dix-neuf siècles ! les malheureuses victimes attendirent à chaque heure un secours qui ne devait arriver que trop tard.

« Depuis quelque temps déjà, le général Havelock, parti de Calcutta, marchait au secours de Cawnpore, et, après avoir battu les révoltés à plusieurs reprises, il y entrait le 17 juillet.

« Mais, deux jours avant, lorsque Nana Sahib apprit que les troupes royales avaient franchi la rivière de Pandou-Naddi, il résolut de signaler par d’épouvantables massacres les dernières heures de son occupation. Tout lui semblait permis vis-à-vis des envahisseurs de l’Inde !

« Quelques prisonniers, qui avaient partagé la captivité des prisonnières du Bibi-Ghar, furent amenés devant lui et égorgés sous ses yeux.

« Restait la foule des femmes et des enfants, et, dans cette foule, lady Munro et sa mère. Un peloton du 6e régiment de Cipayes reçut l’ordre de les fusiller à travers les fenêtres du Bibi-Ghar. L’exécution commença, mais, comme elle ne se faisait pas assez vite au gré du Nana, obligé de battre en retraite, ce prince sanguinaire mêla des bouchers musulmans aux soldats de sa garde… Ce fut la tuerie d’un abattoir !

« Le lendemain, morts ou vivants, enfants et femmes, étaient précipités dans un puits voisin, et, lorsque les soldats d’Havelock arrivèrent, ce puits, comblé de cadavres jusqu’à la margelle, fumait encore !

« Alors les représailles commencèrent. Un certain nombre de révoltés, complices de Nana Sahib, étaient tombés entre les mains du général Havelock. Celui-ci lança le terrible ordre du jour suivant, dont je n’oublierai jamais les termes :

« Le puits dans lequel repose la dépouille mortelle des pauvres femmes et des enfants massacrés par ordre du mécréant Nana Sahib sera comblé et couvert avec soin en forme de tombeau. Un détachement de soldats européens, commandé par un officier, remplira ce soir ce pieux devoir. La