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LA JANGADA

la puissance de raisonner, un phénomène inattendu, inexplicable, étrange, se produisit devant ses regards.

Une détonation sourde venait de se propager à travers les couches liquides. Ce fut comme un coup de tonnerre, dont les roulements coururent dans les couches sous-marines, troublées par les secousses du gymnote. Benito se sentit baigné en une sorte de bruit formidable, qui trouvait un écho jusque dans les dernières profondeurs du fleuve.

Et, tout d’un coup, un cri suprême lui échappa !… C’est qu’une effrayante vision spectrale apparaissait à ses yeux.

Le corps du noyé, jusqu’alors étendu sur le sol, venait de se redresser !… Les ondulations des eaux remuaient ses bras, comme s’il les eût agités dans une vie singulière !… Des soubresauts convulsifs rendaient le mouvement à ce cadavre terrifiant !

C’était bien celui de Torrès ! Un rayon de soleil avait percé jusqu’à ce corps à travers la masse liquide, et Benito reconnut la figure bouffie et verdâtre du misérable, frappé de sa main, dont le dernier soupir s’était étouffé sous ces eaux !

Et pendant que Benito ne pouvait plus imprimer un seul mouvement à ses membres paralysés, tandis que ses lourdes semelles le retenaient comme s’il eût