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TOUTE UNE FORET PAR TERRE.

Trois semaines après le commencement des travaux, de ces arbres qui hérissaient l’angle du Nanay et de l’Amazone, il ne restait pas un seul debout. L’abatage avait été complet. Joam Garral n’avait pas même eu à se préoccuper de l’aménagement d’une forêt que vingt ou trente ans auraient suffi à refaire. Pas un baliveau de jeune ou de vieille écorce ne fut épargné pour établir les jalons d’une coupe future, pas un de ces corniers qui marquent la limite du déboisement ; c’était une « coupe blanche », tous les troncs ayant été recépés au ras du sol, en attendant le jour où seraient extraites leurs racines, sur lesquelles le printemps prochain étendrait encore ses verdoyantes broutilles.

Non, ce mille carré, baigné à sa lisière par les eaux du fleuve et de son affluent, était destiné à être défriché, labouré, planté, ensemencé, et, l’année suivante, des champs de manioc, de caféiers, d’inhame, de cannes à sucre, d’arrow-root, de maïs, d’arachides, couvriraient le sol qu’ombrageait jusqu’alors la riche plantation forestière.

La dernière semaine du mois de mai n’était pas arrivée, que tous les troncs, séparés suivant leur nature et leur degré de flottabilité, avaient été rangés symétriquement sur la rive de l’Amazone. C’était là que devait être construite l’immense