Page:Verne - La Jangada, 1881, t1.djvu/59

Cette page a été validée par deux contributeurs.

51
HÉSITATIONS.

dans lequel se concentrait sa vie, il ne voulait le franchir ni de la pensée ni du regard.

Il suivait de là que si, depuis vingt-cinq ans, Joam Garral n’avait point passé la frontière brésilienne, sa femme et sa fille en étaient encore à mettre le pied sur le sol brésilien. Et pourtant, l’envie de connaître quelque peu ce beau pays, dont Benito leur parlait souvent, ne leur manquait pas ! Deux ou trois fois, Yaquita avait pressenti son mari à cet égard. Mais elle avait vu que la pensée de quitter la fazenda, ne fut-ce que pour quelques semaines, amenait sur son front un redoublement de tristesse. Ses yeux se voilaient alors, et, d’un ton de doux reproche :

« Pourquoi quitter notre maison ? Ne sommes-nous pas heureux ici ? » répondait-il.

Et Yaquita, devant cet homme dont la bonté active, dont l’inaltérable tendresse la rendaient si heureuse, n’osait pas insister.

Cette fois, cependant, il y avait une raison sérieuse à faire valoir. Le mariage de Minha était une occasion toute naturelle de conduire la jeune fille à Bélem, où elle devait résider avec son mari.

Là, elle verrait, elle apprendrait à aimer la mère de Manoel Valdez. Comment Joam Garral pourrait-il hésiter devant un désir si légitime ? Comment,