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LA JANGADA.

actuelle ces chasseurs d’esclaves ne devaient plus appartenir qu’au rebut de la société, et, très probablement, l’homme au document ne déparait pas la peu recommandable milice des « capitães do mato ».

Ce Torrès, — ainsi se nommait-il, — n’était ni un métis, ni un Indien, ni un noir, comme la plupart de ses camarades : c’était un blanc, d’origine brésilienne, ayant reçu un peu plus d’instruction que n’en comportait sa situation présente. En effet, il ne fallait voir en lui qu’un de ces déclassés, comme il s’en rencontre tant dans les lointaines contrées du Nouveau Monde, et, à une époque où la loi brésilienne excluait encore de certains emplois les mulâtres ou autres sang-mêlé, si cette exclusion l’eût atteint, ce n’eût pas été pour son origine, mais pour cause d’indignité personnelle.

En ce moment, d’ailleurs, Torrès n’était plus au Brésil. Il avait tout récemment passé la frontière, et, depuis quelques jours, il errait dans ces forêts du Pérou, au milieu desquelles se développe le cours du Haut-Amazone.

Torrès était un homme, de trente ans environ, bien constitué, sur qui les fatigues d’une existence assez problématique ne semblaient pas avoir eu prise, grâce à un tempérament exceptionnel, à une santé de fer.