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LA CHASSE AU MÉTÉORE

seul grain qu’ils eussent conservé à titre de souvenir, en admettant que M. de Schnack ne l’eût point réclamé pour son pays.

Dans leur commune douleur, les deux rivaux avaient perdu jusqu’au souvenir de leur passagère rivalité. Pouvait-il en être autrement ? Était-il possible que le docteur Hudelson tînt rigueur à qui avait si généreusement bravé la mort pour le sauver ? Et, d’un autre côté, n’est-il pas humain que l’on soit tout dévoué à celui pour qui l’on faillit mourir ? La disparition du bolide eût achevé, au besoin, la réconciliation. À quoi bon se disputer le nom d’un météore qui n’existait plus ?

Pensaient-ils à cela, les deux anciens adversaires, avaient-ils conscience du néant de leur générosité tardive, tandis qu’ils faisaient assaut de désintéressement, en se promenant bras dessus bras dessous, dans le premier quartier de la lune de miel d’une amitié remise à neuf ?

« C’est un bien grand malheur, disait le docteur Hudelson, que la perte du bolide Forsyth.

— Du bolide Hudelson, rectifiait Mr Dean Forsyth. Il était à vous, cher ami, bien à vous.

— Nullement, protestait le docteur. Votre observation, cher ami, avait précédé la mienne.

— Elle l’avait suivie, cher ami.

— Que non pas ! Le manque de précision de ma lettre à l’Observatoire de Cincinnati en serait au besoin la preuve. Au lieu de dire comme vous, de telle heure à telle heure, j’ai dit : entre telle heure et telle heure. C’est bien différent ! »

Il n’en voulait pas démordre, l’excellent docteur, mais Mr Dean Forsyth n’en démordait pas non plus. De là, nouvelles discussions, celle-ci heureusement inoffensives.

Poussé à un tel point, ce revirement touchant avait aussi quelque chose de comique. Quelqu’un qui ne pensait pas à en rire, cependant, c’était Francis Gordon, redevenu officiellement le fiancé de sa chère Jenny. Les deux jeunes gens profitaient de leur mieux, après tant d’orages, du retour du beau temps et rattrapaient consciencieusement les heures perdues.

Les navires de guerre et les paquebots mouillés au large d’Upernivik levèrent l’ancre dans la matinée du 4 septembre, en route pour des latitudes plus méridionales. De tous les curieux qui avaient donné, pendant quelques jours, tant d’animation à