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LA CHASSE AU MÉTÉORE

gineuse, sa forme sphérique se discernait encore. La partie supérieure demeurait assez régulièrement arrondie, tandis que la base disloquée, écrasée, épousait intimement les irrégularités du sol.

« Mais… il va glisser dans la mer ! » s’écria M. Lecœur au bout de quelques instants. Son filleul garda le silence. « Tu avais annoncé qu’il tomberait à cinquante mètres du bord !

— Il en est à dix, car il faut tenir compte de son demi-diamètre.

— Dix ne sont pas cinquante.

— Il aura été dévié par la tempête. »

Les deux interlocuteurs n’échangèrent pas d’autres paroles et contemplèrent la sphère d’or en silence.

En vérité, M. Lecœur n’avait pas tort d’éprouver une certaine inquiétude. Le bolide était tombé à dix mètres de l’extrême arête de la falaise, sur le sol déclive qui réunissait cette arête au reste de l’île. Son rayon étant de cinquante-cinq mètres, ainsi que l’Observatoire de Greenwich avait eu raison de l’affirmer, il se trouvait en surplomb de quarante-cinq mètres au-dessus du vide. L’énorme masse de métal, déjà amollie par la chaleur, et ainsi projetée en porte-à-faux, avait pour ainsi dire coulé le long de la falaise verticale et pendait lamentablement jusqu’à peu de distance de la surface de la mer. Mais l’autre partie, littéralement imprimée dans le roc, retenait l’ensemble au-dessus de l’océan.

Assurément, puisqu’il ne tombait pas, c’est qu’il était en équilibre. Toutefois cet équilibre paraissait bien instable et on comprenait que la moindre impulsion aurait suffi à précipiter dans l’abîme le fabuleux trésor. Une fois lancé sur la pente, rien au monde ne serait capable de l’arrêter, et il glisserait alors invinciblement dans la mer qui se refermerait sur lui.

Raison de plus de se hâter, pensa soudain M. Lecœur, en reprenant conscience de lui-même. C’était folie de gâcher ainsi son temps dans une sotte contemplation, au grand dommage de ses intérêts.

Passant, sans perdre une minute de plus, derrière la maisonnette, il hissa le drapeau français au sommet d’un mât assez élevé pour être aperçu des vaisseaux mouillés devant Upernivik.