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LA CHASSE AU MÉTÉORE

et des baies d’algues. Triste vie, en somme, que celle des Groënlandais.

L’arrivée d’un tel nombre d’étrangers à l’île d’Upernivik causa une grande surprise aux quelques centaines d’indigènes qui habitent l’île, et lorsqu’ils apprirent la cause de cette affluence, leur surprise ne diminua pas, au contraire. Ils n’en étaient plus, ces pauvres gens, à ignorer la valeur de l’or. Mais l’aubaine ne serait pas pour eux. Si les milliards s’abattaient sur leur sol, ils n’iraient point remplir leurs poches, bien que les poches ne manquent point au vêtement groenlandais, qui n’est pas celui des Polynésiens, et pour cause. Ils iraient, ces milliards, s’engouffrer dans les coffres de l’État, d’où, selon l’usage, on ne les verrait plus jamais sortir. Cependant, ils ne devaient pas se désintéresser de l’« affaire ». Qui sait s’il n’en résulterait tout de même pas quelque bien-être pour les pauvres citoyens du Groenland ?

Quoi qu’il en soit, il commençait à être temps qu’il se produisît, le dénouement de cette « affaire ».

Si d’autres steamers arrivaient encore, le port d’Upernivik ne suffirait plus à les contenir. D’autre part, le mois d’août s’avançait, et les bâtiments ne pouvaient s’attarder bien longtemps sous une latitude si élevée. Septembre, c’est l’hiver, puisqu’il ramène les glaces des détroits et des canaux du Nord, et la mer de Baffin ne tarde pas à devenir impraticable. Il faut fuir, il faut s’éloigner de ces parages, il faut laisser en arrière le cap Farewel, sous peine d’être pris dans les embâcles pour les sept ou huit mois des rudes hivers de l’océan Arctique.

Pendant les heures de l’attente, les intrépides touristes faisaient de longues promenades à travers l’île. Son sol rocheux, presque plat, rehaussé seulement de quelques tumescences dans sa partie médiane, se prête à la marche. Çà et là s’étendent des plaines, où, au-dessus d’un tapis de mousses et d’herbes plus jaunes que vertes, s’élèvent des arbustes qui ne deviendront jamais des arbres, quelques-uns de ces bouleaux rabougris qui poussent encore au-dessus du soixante-douzième parallèle.

Le ciel était généralement brumeux, et le plus souvent de gros nuages bas le traversaient sous le souffle des brises de l’Est. La température ne dépassait pas dix degrés au-dessus de zéro. Aussi les passagers étaient-ils heureux de retrouver à bord de leurs navires un confort que le village n’aurait pu leur offrir et