Page:Verne - La Chasse au Météore, Hetzel, 1908.djvu/188

Cette page a été validée par deux contributeurs.
173
LA CHASSE AU MÉTÉORE

sentiment du chagrin qu’il lui avait causé par son obstination l’incitant d’ailleurs à la faiblesse et à l’indulgence, par consentir à l’emmener. Jenny accompagnait donc son père.

En insistant comme elle l’avait fait, la jeune fille poursuivait un but. Séparée de Francis Gordon depuis les scènes violentes qui avaient définitivement brouillé les deux familles, elle supposait que celui-ci accompagnerait son oncle. Dans ce cas, ce serait encore un bonheur pour les deux fiancés que de vivre si près l’un de l’autre, sans compter que les occasions de se parler et de se joindre ne leur manqueraient sans doute pas au cours du voyage.

L’événement prouva qu’elle avait justement raisonné. Francis Gordon s’était en effet résolu à accompagner son oncle. Assurément, pendant l’absence du docteur, il n’aurait pas voulu transgresser ses ordres formels en se présentant à la maison de Moriss street. Mieux valait donc qu’il prît part au voyage, comme le faisait Omicron, pour s’interposer, le cas échéant, entre les deux adversaires et pour profiter de toute circonstance qui pourrait modifier cette déplorable situation. Peut-être se détendrait-elle d’elle-même, après la chute du bolide, soit qu’il fût devenu propriété de la nation groënlandaise, soit qu’il eût été se perdre dans les profondeurs de l’océan Arctique. J. B. K. Lowenthal, après tout, n’était qu’un homme et, comme tel, sujet à l’erreur. Le Groënland n’est-il pas situé entre deux mers ? Il suffirait donc d’une déviation provoquée par quelque circonstance atmosphérique, pour que l’objet de tant de convoitises échappât à l’avidité humaine.

Un personnage que ce dénouement n’eût pas satisfait, c’était M. Ewald de Schnack, le délégué du Groënland à la Commission Internationale, lequel se trouvait présentement au nombre des passagers du Mozik. Son pays allait tout simplement devenir l’État le plus riche du monde. Pour loger tant de trillions, les coffres du Gouvernement ne seraient, ni assez grands, ni assez nombreux. Heureuse nation, où n’existerait plus aucun impôt d’aucune sorte et où serait supprimée l’indigence ! Étant donnée la sagesse de la race Scandinave, nul doute que cette énorme masse d’or ne serait écoulée qu’avec une extrême prudence. Il y avait donc lieu d’espérer que le marché monétaire ne subirait pas un trop grand trouble du fait de cette pluie dont Jupiter inonda la belle Danaé, s’il faut en croire les récits mythologiques.