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LA CHASSE AU MÉTÉORE

Lorsque Mr Dean Forsyth connut la valeur de son bolide :

« C’est moi qui l’ai découvert, s’écria-t-il, et non ce coquin du donjon. C’est à moi qu’il appartient, et, s’il venait à tomber sur terre, je serais riche de cinq mille huit cents milliards ! »

De son côté, d’ailleurs, le docteur Hudelson se répétait en tendant un bras menaçant vers la tour :

« C’est mon bien, c’est ma chose…, c’est l’héritage de mes enfants, qui gravite à travers l’espace. S’il venait à choir sur notre globe, il m’appartiendrait en toute propriété et je serais cinq mille huit cents fois milliardaire ! »

Il est certain que les Vanderbilt, les Astor, les Rockfeller, les Pierpont Morgan, les Mackay, les Gould et autres Crésus américains, sans parler des Rothschild, ne seraient plus, dans ce cas, que de petits rentiers auprès du docteur Hudelson ou de Mr Dean Forsyth !

Voilà où ils en étaient. S’ils n’en perdaient pas la tête, c’est que leur tête était solide !

Francis et Mrs Hudelson ne prévoyaient que trop aisément la manière dont finirait tout cela. Mais comment retenir les deux rivaux sur une pente si glissante ? Impossible de causer posément avec eux. Ils semblaient avoir oublié le mariage projeté et ne songeaient qu’à leur rivalité si déplorablement entretenue par les journaux de la ville.

Les articles de ces feuilles, d’ordinaire assez paisibles, devenaient enragés, et les regrettables personnalités qui s’y mêlaient risquaient d’amener sur le terrain des gens habituellement plus sociables.

De son côté, le Punch, avec ses épigrammes et ses caricatures, ne cessait d’exciter les deux adversaires. Si ce n’était pas de l’huile que ce journal jetait sur le feu, c’était au moins du sel, le sel de ses plaisanteries quotidiennes, et le feu n’en crépitait que davantage !

On en arrivait à redouter que Mr Dean Forsyth et le docteur Hudelson ne voulussent se disputer le bolide les armes à la main et régler cette question dans un duel à l’américaine. Voilà qui ne serait pas fait pour arranger les affaires des deux fiancés !

Heureusement pour la paix du monde, tandis que les deux monomanes perdaient chaque jour un peu plus de leur bon sens, le public se calmait par degrés. Cette réflexion bien simple finis-