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LES PILLEURS D’ÉPAVES.

Il était quatre heures, lorsque Kongre et ses compagnons se rembarquèrent. Sa voile hissée, la chaloupe eut disparu en quelques instants en suivant la rive nord de la baie.

Avec le soir, les rafales s’accentuèrent. Une pluie froide et cinglante se déversa à torrents des nuages venus du sud-est.

Vasquez et John Davis ne purent quitter la grotte. Le froid fut même assez vif, et ils durent faire du feu pour se réchauffer. Le petit foyer fut allumé au fond de l’étroit couloir. Le littoral étant désert, l’obscurité profonde, ils n’avaient rien à redouter.

La nuit fut horrible. La mer venait battre le pied de la falaise. C’était à croire qu’un mascaret, ou plutôt un raz de marée se précipitait sur la côte est de l’île. Assurément, une houle effrayante devait pénétrer au fond de la baie, et Kongre aurait fort à faire pour maintenir le Carcante à son mouillage.

« Puisse-t-il être mis en pièces, répétait John Davis, et ses débris dériver au large avec la marée prochaine ! »

Quant à la coque du Century, il n’en resterait plus le lendemain que les débris coincés entre les roches ou épars sur la grève.

La tourmente avait-elle atteint son maximum d’intensité ? C’est ce que Vasquez et son compagnon eurent hâte d’observer dès l’aube.

Il n’en était rien. Impossible d’imaginer un pareil trouble des éléments. Les eaux du ciel se confondaient avec celles de la mer. Et il en fut de même pendant toute la journée et pendant la nuit suivante. Durant ces quarante-huit heures, aucun navire ne parut en vue de l’île, et l’on comprend qu’ils voulussent s’écarter à tout prix de ces dangereuses terres de la Magellanie battues directement par la tempête. Ce n’est ni dans le détroit de Magellan ni dans le détroit de Lemaire qu’ils eussent trouvé refuge contre les assauts d’un tel ouragan. Le salut pour eux c’était la fuite, et il leur fallait devant l’étrave la libre étendue des mers.

Ainsi que le prévoyaient John Davis et Vasquez, la coque du