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LE PHARE DU BOUT DU MONDE.

« Un navire ! s’écria-t-il, un navire qui semble se diriger vers l’île ! »

C’était un navire, en effet, venant de l’est, soit pour embouquer le détroit, soit pour passer par le sud.

La tourmente se déchaînait alors avec une extraordinaire violence. C’était plus qu’un coup de vent, c’était un de ces ouragans auxquels rien ne résiste et qui mettent en perdition les plus puissants navires. Lorsqu’ils n’ont pas « de fuite », pour employer une locution maritime, c’est-à-dire lorsqu’ils ont une terre sous le vent, il est rare qu’ils échappent au naufrage.

« Et le phare que ces misérables n’allument pas ! s’écriait Vasquez. Ce bâtiment, qui le cherche, ne l’apercevra pas !… Il ne saura pas qu’une côte est devant lui à quelques milles seulement… Le vent l’y pousse et il viendra se briser sur les écueils !… »

Oui ! un sinistre était à craindre, et qui serait causé par Kongre et les siens. Sans doute, du haut du phare, ils avaient aperçu ce navire, qui n’avait pu tenir la cape et en était réduit à fuir vent arrière à la surface d’une mer démontée. Ce n’était que trop certain, faute de pouvoir se guider sur les éclats de ce phare que le capitaine cherchait vainement dans l’ouest, il n’arriverait pas à doubler le cap San Juan, pour donner dans le détroit, ni la pointe Several pour passer au sud de l’île ! Avant une demi-heure, il serait jeté sur les récifs à l’entrée de la baie d’Elgor, sans avoir même soupçonné la terre qu’il n’avait pu relever pendant les dernières heures du jour.

La tempête était alors dans toute sa force. La nuit menaçait d’être terrible, et, après la nuit, la journée du lendemain, car il ne semblait pas possible que l’ouragan se calmât dans les vingt-quatre heures.

Vasquez ne songeait pas à regagner son abri et ses regards ne quittaient pas l’horizon. S’il ne distinguait plus le navire au milieu de cette profonde obscurité, ses feux lui apparaissaient parfois, lorsque, sous le choc des lames, il embardait tantôt sur un bord