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LE PHARE DU BOUT DU MONDE.

— Pas de ça… pas de ça ! s’écria Vargas. Nous ne sommes pas de force à enlever un navire de guerre.

— Non, c’est lui qui nous enlèverait, et probablement aux deux bouts de sa vergue de misaine ! répliqua Carcante, en agrémentant sa réponse d’un formidable juron.

— Enfin… reprit l’autre, il me tarde d’être à une centaine de milles en mer !

— Demain, je te le répète, demain ! affirma Carcante, ou il faudrait qu’il fît un vent à décorner les guanaques ! »

Vasquez entendait ces propos, immobile, respirant à peine. Carcante et Vargas allaient et venaient, le fanal à la main. Ils déplaçaient certains objets, ils en choisissaient d’autres et les mettaient de côté. Parfois, ils s’approchaient si près du coin où se blottissait Vasquez que celui-ci n’aurait eu qu’à étendre le bras pour leur appliquer son revolver sur la poitrine.

Cette visite prit une demi-heure, Carcante appela l’homme resté à la chaloupe. Celui-ci se hâta d’accourir, et prêta la main au transport des colis.

Carcante jeta un dernier coup d’œil à l’intérieur de la caverne.

« Dommage d’en laisser ! dit Vargas.

— Il le faut bien, répondit Carcante. Ah ! si la goélette jaugeait trois cents tonnes !… Mais nous emportons tout ce qu’il y a de plus précieux et j’ai idée que, là-bas, nous ferons encore de bonnes affaires. »

Ils sortirent alors, et bientôt l’embarcation, filant vent arrière, disparut au delà d’une pointe de la baie.

Vasquez sortit à son tour, et regagna son abri.

Ainsi, dans quarante-huit heures, il n’aurait plus rien à manger, et, en partant, nul doute à ce sujet, Kongre et ses compagnons emporteraient toutes les réserves du phare, Vasquez n’y trouverait plus rien. Comment ferait-il pour vivre jusqu’au retour de l’aviso, qui, en admettant qu’il ne fût pas retardé, n’arriverait pas avant une quinzaine de jours ?