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LE PHARE DU BOUT DU MONDE.

vent du large fraîchit avec la marée montante, et c’était ce que l’on devait surtout craindre, car il eût pu engraver davantage la Maule et la pousser plus avant sur le banc qui s’échancrait du côté de la terre. Or, on était presque dans la morte-eau et, peut-être, la mer n’eût-elle pas assez monté pour dégager la goélette si elle était drossée vers la côte, ne fût-ce que d’une demi-encablure.

Mais il semblait bien que les circonstances favorisaient les projets de Kongre. La brise força un peu en halant le sud venant ainsi aider au dégagement de la Maule.

Kongre et les autres se tenaient à l’avant qui devait flotter plus tôt que l’arrière. Si, comme on l’espérait non sans raison, la goélette pouvait pivoter sur son talon, il n’y aurait plus qu’à virer au cabestan pour faire abattre l’étrave au large, et alors, touée sur sa chaîne longue d’une centaine de brasses, elle retrouverait son élément naturel.

Cependant, la mer gagnait peu à peu. Certains tressaillements indiquaient que la coque ressentait l’action de la marée. Le flot se déroulait en longues houles et pas une lame ne brisait au large. On n’aurait pu demander des circonstances plus heureuses.

Mais, si Kongre se disait maintenant assuré de dégager la goélette et de la mettre en sûreté dans une des criques de la baie Franklin, une éventualité l’inquiétait encore. La coque de la Maule n’avait-elle pas été défoncée sur le flanc de bâbord, celui que portait le banc de sable et qu’on n’avait pu examiner ? S’il existait là quelque voie d’eau, on n’aurait pas le temps de la chercher sous le lest et de l’aveugler. La goélette ne quitterait pas sa souille, elle emplirait, et force serait de l’abandonner à cette place où la première tempête achèverait de la détruire…

C’était là un gros souci. Aussi avec quelle impatience Kongre et ses compagnons suivaient les progrès de la marée ! Si quelque bordage était défoncé, ou si le calfatage avait joué, l’eau ne