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LE PHARE DU BOUT DU MONDE.

Il n’acheva pas. Les yeux dirigés vers le large, il s’arrêta et dit :

« Carcante… regarde donc… là… là… par le travers du cap… »

Carcante observa la mer dans la direction indiquée.

« Oh ! fit-il, je ne me trompe pas… un navire !…

— Qui semble rallier l’île, reprit Kongre, et en courant de petits bords, car il a vent debout. »

En effet, un bâtiment, sous pleine voilure, louvoyait à deux milles environ du cap Saint-Barthélemy.

Bien qu’il eût le vent contre lui, ce navire gagnait peu à peu, et, s’il cherchait le détroit, il y serait engagé avant la nuit.

« C’est une goélette, dit Carcante.

— Oui… une goélette, de cent cinquante à deux cents tonneaux », répondit Kongre.

Aucun doute à ce sujet, cette goélette voulait plutôt gagner le détroit que doubler le cap Saint-Barthélemy. Toute la question était de savoir si elle serait à sa hauteur avant que l’obscurité fût profonde. Avec ce vent qui calminait, ne courrait-elle pas le danger d’être jetée par le courant sur les récifs ?

La bande entière s’était rassemblée à l’extrémité du cap.

Ce n’était pas la première fois, depuis qu’elle y séjournait, qu’un bâtiment se présentait à si courte distance de l’Île des États. On sait que ces pillards cherchaient, dans ce cas, à l’attirer sur les roches par des feux mouvants.

Cette fois encore, la proposition fut faite de recourir à ce moyen.

« Non, répondit Kongre, il ne faut pas que cette goélette se perde… Tâchons qu’elle tombe entre nos mains… Le vent et le courant sont contraires… la nuit va être noire. Il lui sera impossible de donner dans le détroit. Demain, nous l’aurons encore par le travers du cap, et on verra ce qu’il conviendra de faire. »

Une heure plus tard, le navire disparut au milieu d’une obscurité profonde, sans qu’aucun feu décelât sa présence au large.