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LE PHARE DU BOUT DU MONDE.

et encore eût-il fallu qu’un équipage n’eût pas été de force à se défendre contre cette quinzaine de bandits.

Le temps s’écoulait, la caverne regorgeait d’épaves de grande valeur. Ce que devaient être l’impatience, la rage de Kongre et des siens, on le conçoit. C’était l’éternel sujet de conversation entre Carcante et son chef.

« Être échoué sur cette île, comme un navire à la côte ! répétait-il, et lorsque nous avons à embarquer une cargaison valant plus de cent mille piastres !…

— Oui, répondait Kongre, il faudra partir, coûte que coûte !

— Quand et comment ? » répliquait Carcante. Et cette question restait toujours sans réponse.

« Nos provisions finiront par s’épuiser, répétait Carcante. Si la pêche donne, la chasse peut faire défaut !… Et puis, quels hivers on passe sur cette île ! Mille dieux ! Quand je songe à ceux que nous serons obligés de supporter encore ! »

À tout cela, qu’eût pu dire Kongre ? Il était peu loquace, peu communicatif. Mais quelle colère bouillonnait en lui, à sentir son impuissance !

Non, il ne pouvait rien… rien !… À défaut d’un bâtiment que la bande eût surpris au mouillage, si quelque canot fuégien se fût aventuré vers l’est de l’île, Kongre n’aurait pas eu grand’peine à s’en emparer. Et alors, sinon lui, du moins Carcante et un des Chiliens s’en fussent servi pour se rendre au détroit de Magellan, où, une fois là l’occasion se serait présentée de gagner soit Buenos-Ayres, soit Valparaiso. Grâce à l’argent qui ne manquait pas, on aurait acheté un navire de cent cinquante à deux cents tonneaux, que Carcante, avec quelques matelots, eût amené à la baie d’Elgor. Ce navire une fois dans la crique, on se fût débarrassé de son équipage… Puis toute la bande s’y serait embarquée avec ses richesses, pour gagner les Salomon ou les Nouvelles-Hébrides !…

Or, les choses en étaient là, lorsque, quinze mois avant le