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LES TROIS GARDIENS.

approches de la baie d’Elgor, de se porter plusieurs fois par semaine au cap San Juan, d’observer la côte est jusqu’à la pointe Several, sans jamais s’éloigner de plus de trois à quatre milles. Ils devaient tenir au courant le « livre du phare », y noter tous les incidents qui pourraient survenir, le passage des bâtiments à voile et à vapeur, leur nationalité, leur nom lorsqu’ils les enverraient avec leur numéro, la hauteur des marées, la direction et la force du vent, la relève du temps, la durée des pluies, la fréquence des orages, les hausses et baisses du baromètre, l’état de la température et autres phénomènes, ce qui permettrait d’établir la carte météorologique de ces parages.

Vasquez, Argentin de naissance, comme Felipe et Moriz, devait remplir à l’Île des États les fonctions de gardien-chef du phare. Il était alors âgé de quarante-sept ans. Vigoureux, d’une santé à toute épreuve, d’une remarquable endurance, comme il sied à un marin qui a coupé et recoupé la majeure partie des cent quatre-vingts parallèles, résolu, énergique, familiarisé avec le danger, il avait su se tirer d’affaire en plus d’une circonstance où il y allait de la vie. Ce n’est pas seulement à l’âge qu’il devait d’avoir été choisi comme chef de la relève, mais à son caractère fortement trempé qui inspirait une entière confiance. Sans être arrivé plus haut que le grade de premier maître dans la marine de guerre de la République, il avait quitté le service avec l’estime de tous. Aussi, lorsqu’il sollicita cette place à l’Île des États, l’autorité maritime n’éprouva-t-elle aucune hésitation à la lui confier.

Felipe et Moriz étaient également deux marins, âgés l’un de quarante, l’autre de trente-sept ans. Vasquez connaissait leurs familles de longue date et il les avait désignés au choix du gouvernement. Le premier, comme lui, était resté célibataire. Seul des trois, Moriz était marié, sans enfant, et sa femme, qu’il reverrait dans trois mois, servait chez une logeuse du port de Buenos-Ayres.