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l’invasion de la mer

Il va de soi que les propos entre le capitaine Hardigan et le lieutenant Villette s’étaient échangés avant que le chef touareg fût parvenu à s’échapper du bordj de Gabès. Mais, depuis sa fuite, il y aurait lieu de craindre de nouvelles agressions, et, même, rien ne lui serait plus facile que de provoquer un soulèvement de celles de ces tribus dont cette mer intérieure devait modifier les conditions d’existence.

L’expédition aurait donc à surveiller son cheminement à travers le Djerid, et le capitaine Hardigan y donnerait tous ses soins.

Que le maréchal des logis-chef Nicol ne dût pas faire partie de l’escorte, c’est ce qui eût paru surprenant. Où allait le capitaine Hardigan, allait de toute nécessité le marchef. Il avait été de l’affaire qui avait amené la capture de Hadjar, il serait de l’expédition qui mettrait peut-être encore son capitaine aux prises avec les bandes touareg.

Le sous-officier, à l’âge de trente-cinq ans, avait déjà fait plusieurs congés, et toujours au même régiment de spahis. Les doubles galons de maréchal des logis-chef avaient contenté son ambition. Il ne prétendait rien au-delà que de vivre de sa retraite bien gagnée par de bons services, mais le plus tard possible : soldat d’une extraordinaire endurance, débrouillard s’il en fut, Nicol ne connaissait que la discipline. C’était pour lui la grande loi de l’existence, et il eût voulu qu’elle s’appliquât au civil comme au militaire. Toutefois, s’il admettait que l’homme fût uniquement créé pour servir sous les drapeaux, il lui semblait aussi qu’il aurait été incomplet, s’il n’eût trouvé son complément naturel dans le cheval.

Il avait coutume de dire :

« Va-d’l’avant et moi, nous ne faisons qu’un… Je suis sa tête et il est mes jambes… et, vous l’avouerez, des jambes de cheval, c’est autrement taillé pour la marche que des jambes d’homme !… Et, encore, si nous en avions quatre, mais nous n’en avons que deux, alors qu’il nous en faudrait une demi-douzaine !… »