Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/71

Cette page n’a pas encore été corrigée

VIII

moriliré


(Carnet de notes d’Amédée Florence.)

22 janvier. — Voici deux jours que nous avons quitté Sikasso, et j’ai déjà l’impression qu’il y a quelque chose qui ne va plus. Ce n’est qu’une impression, je le répète, mais il me semble que l’esprit de nos serviteurs est moins bon, que les âniers, par exemple, mettent encore moins d’ardeur, s’il est possible, à presser le pas des ânes, que les porteurs se fatiguent plus vite et réclament de plus fréquents repos. Tout cela n’existe peut-être que dans mon imagination, et peut-être suis-je influencé à mon insu par les prédictions du kéniélala de Kankan. Il n’est pas impossible que ces prédictions, que j’avais presque oubliées, aient repris une certaine valeur depuis que nous avons dépassé Sikasso et que l’escorte a été réduite de moitié.

Aurais-je donc peur ? Que non pas ! Ou plutôt, si j’ai peur, c’est que cet imbécile de kéniélala, au lieu de répéter bêtement sa leçon, n’ait pas eu réellement le don de seconde vue. Qu’est-ce que je demande, moi ? Des aventures, des aventures, et encore des aventures, que je transformerai en bonne copie, comme c’est mon métier. Or, des aventures, des vraies, j’en suis à les attendre.

23 janvier. — Je persiste à penser que nous allons comme un convoi de tortues. Il est vrai que la nature du terrain ne se prête pas à une marche rapide. Ce ne sont que montées et descentes. Malgré tout, la mauvaise volonté de nos nègres me paraît certaine.

24 janvier. — Qu’est-ce que je disais ? Nous arrivons ce soir à Kafélé. Nous avons mis quatre jours à faire une cinquantaine de kilomètres. Douze kilomètres par jour, ce n’est pas mal, comme record.

31 janvier. — Eh bien ! On l’a battu, ce record ! Nous avons employé six jours pour faire cinquante autres kilomètres — total : cent kilomètres en dix jours ! — et nous voici dans une petite villégiature du nom de Kokoro. Je vous prie de croire que je n’y louerai pas une villa pour passer l’été au bord de la mer. Quel trou !

Après avoir laissé en arrière, il y a trois jours, un village appelé Ngana — où diable vont-ils chercher ces noms-là ? — nous avons encore gravi une dernière côte assez raide, puis nous sommes définitivement descendus dans la vallée, que nous suivons pour l’instant. Montagnes dans l’Ouest, le Nord et le Sud. Devant nous, vers l’est, la plaine.

Pour comble de malheur, nous allons être retenus un certain temps à Kokoro. Ce n’est pas que nous y soyons prisonniers. Au contraire, le chef du village, un certain Pintié-Ba, est notre ami tout à fait intime. Mais…

Mais je réfléchis que c’est un axiome littéraire de débuter par le plus ennuyeux. Je jette donc rapidement, à titre de mémoran-