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— Serrez l’argenterie ! recommanda M. Barsac en riant, et introduisez-les dans la salle à manger.

On amena donc ces Noirs, tous plus laids et plus sordides les uns que les autres. Il y avait parmi eux des nounou, artisans de trente-six métiers, fabricants de poterie, de bijouterie, de vannerie, d’objets en bois ou en fer, des dioula ou marraba, qui vendent des armes, des étoffes, et surtout des noix de kola, donc nous fîmes une ample provision. On connaît les propriétés excitantes de ce fruit que le docteur Châtonnay appelle un « aliment d’épargne ». Nous fûmes très heureux d’en acquérir une grande quantité en échange d’un peu de sel. Dans les contrées que nous parcourons, le sel est rare ; il n’a, pour ainsi dire, pas de prix. Sa valeur augmentera de plus en plus, à mesure que nous nous éloignerons de la côte. Aussi en emportons-nous plusieurs barres.

Nous appelâmes ensuite les griots, et on leur ordonna de chanter leur plus belle chanson en l’honneur de notre gracieuse compagne.

Ces troubadours du pays noir étaient au nombre de deux. Le premier tenait à la main sa guitare. Quelle guitare !… Qu’on se figure une calebasse traversée par trois lamelles de bambou pourvues chacune d’une corde en boyau. On appelle cet instrument dianné. Le second griot, un vieux aux yeux atteints d’ophtalmie, comme il arrive souvent ici, était armé d’une sorte de flûte du nom de fabrésoro, en bambara. C’est un simple roseau à chaque bout duquel est adaptée une petite calebasse.

Le concert commença. Le second griot, qui n’était vêtu que d’un bila, sorte de ceinture large de trois doigts passant entre les jambes, se mit à danser, tandis que son camarade, plus décemment couvert d’une de ces longues blouses, d’ailleurs d’une saleté repoussante, appelées doroké, s’asseyait sur le sol, pinçait sa guitare et poussait des cris gutturaux qui avaient la prétention, du moins je le suppose, d’être un chant adressé au soleil, à la lune, aux étoiles et à Mlle Mornas.

Les contorsions de l’un, les hurlements de l’autre, les sons étranges que les deux virtuoses tiraient de leurs instruments, eurent le don d’exciter nos âniers. Ils abandonnèrent leur mil, leur riz et leur maïs, et organisèrent un ballet qui n’était pas ordinaire.

Entraînés par l’exemple, nous nous emparons des casseroles et des chaudrons, sur lesquels nous frappons à coups de cuillères et de fourchettes ; M. de Saint-Bérain casse une assiette, en fait des castagnettes, perdant toute retenue, se confectionne un turban avec une serviette, et, tandis que M.