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communiquer directement avec Bamako !… Avec Saint-Louis, peut-être !…

— Oh ! avec Saint-Louis !… C’est un peu loin.

— Pas du tout, protesta Perrigny. On a déjà correspondu à de très grandes distances.

— Pas possible !

— Très possible, soudard, et, moi, je compte faire mieux encore. Incessamment, je commencerai, le long du Niger, une série d’expériences…

Le capitaine Perrigny s’arrêta tout à coup. Ses yeux écarquillés, sa bouche entrouverte exprimaient une stupéfaction profonde. Du côté de l’appareil Branly, un petit bruit sec venait de se faire entendre, que son oreille exercée avait bien reconnu.

— Qu’est-ce que tu as ? demanda Marcenay étonné.

Son ami dut faire un effort pour lui répondre. La surprise l’étranglait littéralement.

— Il marche ! balbutia-t-il enfin en désignant l’appareil.

— Comment ! il marche, se récria ironiquement le capitaine Marcenay. Tu rêves, futur membre de l’Institut. Puisque ton appareil est le seul qui existe en Afrique, il ne peut pas marcher, ainsi que tu t’exprimes avec tant d’élégance. Il se sera détraqué, voilà tout.

Sans répondre, le capitaine Perrigny courut au récepteur.

— Détraqué !… protesta-t-il en proie à une violente surexcitation. Il est si peu détraqué que je lis clairement sur la bande : capi… taine… capitaine Mar… capitaine Marcenay !

— Mon nom ! railla celui-ci. Je crains fort, mon vieux, que tu ne te paies ma tête, comme on dit.

— Ton nom ! affirma Perrigny, avec une émotion si évidemment sincère que son camarade en fut frappé.

L’appareil s’était arrêté, et demeurait maintenant muet sous les yeux des deux officiers qui ne le quittaient pas du regard. Mais bientôt le tic-tac significatif se fit de nouveau entendre.

— Le voilà qui repart !… s’exclama Perrigny, en se penchant sur la bande. Bon ! ton adresse, maintenant : Tombouctou.

— Tombouctou !… répéta machinalement Marcenay, tremblant à son tour d’une sorte d’émotion mystérieuse.

L’appareil s’était arrêté une seconde fois, puis, après une courte interruption, la bande imprimée recommença à se dérouler, pour s’immobiliser encore au bout de quelques instants.

— Jane Buxton, lut Perrigny.

— Connais pas, déclara Marcenay, qui poussa, sans trop savoir pourquoi, un soupir de soulagement. C’est une farce que quelqu’un nous fait.

— Une farce ? répéta Perrigny, songeur. Comment cela se pourrait-il ?… Ah ! voilà que ça recommence !…

Et, penché sur la bande, il lut, épelant les mots, à mesure qu’ils se révélaient à lui :

— Venez… au… se… cours… de… Jane… Mor… nas…

— Jane Mornas ! s’écria le capitaine Marcenay, qui, suffoquant tout à coup, dut dégrafer le col de sa vareuse.

— Tais-toi, commanda Perrigny. Pri… son… nière… à Black… land…

Pour la quatrième fois, le tic-tac s’interrompit. Perrigny se redressa et regarda son camarade. Celui-ci était livide.

— Qu’as-tu ? demanda-t-il affectueusement.

— Je t’expliquerai… répondit péniblement Marcenay. Mais Blackland, où prends-tu Blackland ?

Perrigny n’eut pas le temps de répondre. L’appareil fonctionnait de nouveau. Il lut :

— La… ti… tude… Quinze… de… grés… Cin… quante… mi… nutes… nord… Lon… gi… tude…