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des réflecteurs tels que la presque totalité des ondes émises est dirigée dans le sens qui me convient. La force initiale est ainsi intégralement envoyée dans cette direction, et s’y transmet de proche en proche tant qu’elle n’a pas été consommée dans un travail quelconque. Le moyen de faire varier la fréquence de ces oscillations étant, d’une part, bien connu, j’ai pu imaginer des récepteurs d’ondes qui ne sont sensibles qu’à une fréquence déterminée. C’est ce qu’on appelle en physique la « syntonisation ». Un récepteur donné réagira donc à toutes les ondes ayant la fréquence pour laquelle il a été construit, et à celles-ci seulement. Le nombre des fréquences possibles étant infini, je peux établir, par suite, une infinité de moteurs parmi lesquels il n’en existera pas deux qui soient sensibles à des ondes identiques. On me comprend toujours ?

— C’est plus dur, reconnut Barsac. On suit tout de même.

— J’ai fini, d’ailleurs, dit Camaret. C’est par ce moyen que nous actionnons une quantité considérable de machines agricoles qui, toutes, reçoivent leur énergie à distance de l’un ou de l’autre des projecteurs qui hérissent cette tour. C’est également par ce moyen que nous dirigeons les guêpes. Chacune d’elles a quatre hélices et contient quatre petits moteurs de syntonisation différente, dont nous excitons, à notre choix, un ou plusieurs. C’est, enfin, par ce moyen que je pourrais détruire la ville entière, si la fantaisie m’en prenait.

— Vous pourriez d’ici détruire la ville !… s’écria Barsac.

— Très aisément. Harry Killer m’a demandé de la rendre imprenable, et je l’ai rendue imprenable. Sous toutes les rues, sous toutes les maisons, sous le Palais et sous cette usine même, sont déposées de fortes charges d’explosif accompagnées d’un détonateur en syntonisation avec des ondes de fréquences connues de moi seul. Pour faire sauter la ville, il me suffirait donc d’envoyer dans la direction de chaque mine des ondes de la fréquence correspondant à son détonateur.

Amédée Florence, qui prenait fiévreusement des notes, eut la velléité d’insinuer qu’on ferait peut-être bien d’user de ce procédé pour venir à bout d’Harry Killer, mais il se souvint à temps du peu de succès qu’avait rencontré sa suggestion d’employer les torpilles aériennes dans le même but, et il s’abstint prudemment.

— Et le grand pylône qui surmonte la tour ? demanda le docteur Châtonnay.

— J’y arrive, et ce sera ma conclusion, répondit Camaret. Pour ces ondes dites hertziennes, tout se passe, c’est même assez curieux, comme si elles étaient soumises à l’attraction, et, parties de leur point d’émission, elles retombaient lentement vers la terre, où elles iraient finalement se perdre. Si, donc, on veut qu’elles aillent loin, il faut les produire à une certaine hauteur. Pour moi, c’était d’autant plus nécessaire que je désirais les envoyer, non pas très loin, mais très haut, ce qui est encore moins facile. J’y ai réussi, cependant, tant grâce à un pylône d’une centaine de mètres relié à l’oscillateur, que grâce au réflecteur de mon invention dont l’extrémité du pylône est armée.

— Pourquoi envoyer des ondes en hauteur ? demanda Florence, qui ne comprenait plus.

— Pour faire pleuvoir. Tel est, en effet, le principe de l’invention que je projetais, quand j’ai connu Harry Killer, et que celui-ci m’a aidé à réaliser. Par le pylône et le miroir, j’envoie des ondes aux nuages, et j’électrise ainsi jusqu’à saturation l’eau qu’ils contiennent à l’état globulaire. Quand la différence de potentiel de ce nuage avec la terre ou avec un nuage voisin est devenue suffisant, ce qui n’est jamais très long, un orage éclate, et la pluie tombe. La transformation de ce désert en campagne fertile