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et on déboucha dans les jardins, du côté le plus rapproché du Palais.

En cet endroit, la haute muraille ceinturant l’Usine masquait la vue de celui-ci. Mais, quand on se fut éloigné d’une cinquantaine de mètres de cette muraille, la tour d’Harry Killer commença à poindre au-dessus de la crête. Aussitôt, une explosion retentit au sommet de cette tour et fut suivie du bruit caractéristique d’une balle qui passa au-dessus du groupe des promeneurs. Ceux-ci reculèrent avec précipitation.

— L’imbécile !… murmura tranquillement Camaret, qui se contenta de lever le bras sans interrompre sa marche.

À ce signal, un violent sifflement se fit entendre. Les hôtes de Camaret se tournèrent instinctivement du côté de l’Usine. Mais celui-ci leur montra le Palais. Le cycloscope qui en couronnait la tour avait disparu.

— Ça lui apprendra, dit Camaret. Moi aussi, j’ai des torpilles aériennes, j’en ai même plus que lui, puisque c’est moi qui les fabrique. Quant au cycloscope, j’en ferai un autre, voilà tout.

— Mais, monsieur, fit observer Amédée Florence, puisque vous possédez de ces projectiles que vous appelez des torpilles aériennes, pourquoi ne s’en servirait-on pas contre Harry Killer ?

Un instant, Marcel Camaret regarda fixement celui qui lui posait cette question, et, une fois encore, une expression d’égarement passa dans ses yeux.

— Moi !… dit-il enfin d’une voix sourde. Moi, m’attaquer à mon œuvre !…

Sans insister, Amédée Florence échangea un regard avec ses compagnons. Décidément, cet homme surprenant à beaucoup d’égards avait une fêlure, et cette fêlure s’appelait l’orgueil.

On se remit en marche en silence. La leçon avait été comprise par le Palais. Aucune autre attaque ne fut tentée contre le groupe des promeneurs, tandis que ceux-ci continuaient à s’éloigner dans le jardin, qu’ils quittèrent du côté opposé à celui par lequel ils étaient entrés.

— Nous arrivons dans la partie intéressante, dit Camaret en ouvrant une porte. Ici, c’est l’ancienne machinerie, moteur et générateur à vapeur, que nous chauffions au bois, faute d’autre combustible. C’était toute une affaire, car le bois venait de loin, et nous en consommions de grandes quantités. Heureusement, cela n’a pas duré longtemps. Dès que la rivière eut de l’eau, après les premières pluies provoquées par moi, la station hydroélectrique que j’avais installée, pendant ce temps, à une dizaine de kilomètres en aval de la ville, commença à fonctionner. Depuis, nous n’utilisons plus ce matériel archaïque, et aucune fumée ne sort plus de cette cheminée devenue inutile. Nous nous contentons de transformer selon nos besoins l’énergie que la station génératrice nous envoie.

À la suite de Camaret, on passa dans une autre salle.

— Ici, dit-il, et dans les salles suivantes, remplies comme celle-ci de dynamos réceptrices, d’alternateurs, de transformateurs et de bobines, parfois assez imposantes, c’est le pays de la foudre. C’est ici que nous recevons et transformons le courant primaire qui nous parvient de la station.

— Comment ! s’écria Florence abasourdi. On a pu transporter toutes ces machines ici !

— Un petit nombre d’entre elles seulement, répondit Camaret. Nous en avons fabriqué nous-mêmes le plus grand nombre.

— Il vous a fallu tout au moins la matière première, objecta Amédée Florence. Comment diable vous l’êtes-vous procurée en plein désert ?