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ustensiles de toilette. Une ampoule électrique est fixée au plafond. En somme, la paille humide des cachots est assez confortable, et j’estimerais cette chambre d’étudiant fort suffisante, si j’étais libre.

Je m’assieds, j’allume une cigarette et j’attends — quoi ? les événements, tout en réfléchissant aux charmes de voyages.

Deux heures plus tard, je suis tiré de ma méditation par le bruit de ma porte qu’on ouvre. Les verrous grincent, la serrure craque, l’huis s’entrebâille, et j’aperçois… Je vous le donne en mille. J’aperçois Tchoumouki, qui a disparu depuis le jour où, pour la troisième fois, j’ai entendu le mystérieux ronflement dont je connais maintenant la cause. Il ne manque pas d’un certain toupet. Oser se présenter devant moi, après la manière dont il a traité mes articles !

Tchoumouki s’attend, d’ailleurs, à un accueil plutôt frais. Avant de pénétrer dans ma cellule, il y jette d’abord un regard et examine prudemment le terrain. Bien lui en prend.

— Ah ! te voilà, triple fripon ! dis-je, en m’élançant à sa rencontre, dans l’intention de lui infliger la correction qu’il mérite.

Mais je me heurte à la porte, que le traître a vivement refermée. Tant mieux, après tout. Quand je m’offrirais le plaisir de lui allonger les oreilles, à quoi cela m’avancerait-il, sinon à compliquer encore ma situation, qui n’est déjà pas si drôle ?

Tchoumouki devine-t-il cette réflexion pacifique ? C’est à croire, car la porte s’entrebâille une seconde fois, et donne de nouveau passage à la tignasse crépue du coquin. Oh ! il peut entrer, maintenant. J’ai repris ma place… et mon calme.

Je répète, mais d’un ton où ne gronde plus aucune menace :

— Ah ! te voilà, triple fripon ! Que viens-tu faire ici ?

— Moi y en a domestique, répond, avec un regard en dessous, Tchoumouki, qui ouvre la porte toute grande.

Dans le couloir, il y a deux autres nègres portant des victuailles que Tchoumouki dépose sur ma table. À cette vue, l’eau me vient à la bouche, et je m’aperçois que je meurs de faim. Cela n’a rien d’étonnant ; je suis à jeun, et il est au moins deux heures de l’après-midi.

Rejetant tout autre souci, je fais honneur au repas, respectueusement servi par Tchoumouki, que j’interroge, et qui ne se fait nullement prier pour répondre à mes questions. D’après lui, je suis l’hôte — très involontaire ! — d’un puissant roi, S. M. Harry Killer — un bien vilain nom, entre nous — et on m’a conduit dans une ville extraordinaire, où « y en a beaucoup maisons grandes » et « beaucoup manières toubab », c’est-à-dire remplie d’inventions européennes. Je n’ai pas de peine à l’en croire, après l’expérience des prodigieuses machines volantes dont je suis encore tout ébaubi.

Je continue mon enquête. Ce serait donc le roi en question qui l’aurait placé, lui, Tchoumouki, sur le chemin de Mlle Mornas, afin que celle-ci le prît pour guide, de même qu’on choisit malgré soi la « carte forcée » d’un prestidigitateur ?

Tchoumouki m’affirme que non, et qu’il s’est engagé sans arrière-pensée. Il soutient même que son engagement n’est nullement rompu et qu’il se considère comme étant au service de Mlle Mornas et de Saint-Bérain pendant tout le temps que ses patrons resteront en Afrique. Tchoumouki se moquerait-il de moi ? Je le regarde. Non, il parle sérieusement, ce qui est, d’ailleurs, beaucoup plus comique.

Il prétend avoir été entraîné par Moriliré, lequel était bien, lui, à la solde du monarque qui nous retient prisonniers. Non content de le couvrir d’or, Moriliré lui aurait décrit, paraît-il, dans les termes les plus dithyrambiques, la puissance et la générosité de cet Harry Killer, que

Tchoumouki n’a jamais