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plus important, le directeur, manquait à l’appel. Mr Lewis Robert Buxton avait disparu.

Les employés ne purent fournir aucune indication à cet égard. Tout ce qu’ils savaient, c’est que, un peu avant cinq heures, un client, introduit auprès du directeur, avait, quelques minutes plus tard, appelé le caissier Store, que celui-ci s’était rendu à cet appel et n’avait pas reparu. C’est quelques instants après que l’agression s’était produite. Quant à Mr Buxton, nul ne l’avait revu.

La conclusion s’imposait. S’il était hors de doute que l’agence eût été prise d’assaut par cinq bandits plus ou moins déguisés ou maquillés, il ne l’était pas moins que ces bandits eussent un complice dans la place et que ce complice ne fût autre que son chef.

C’est pourquoi, sans attendre les résultats d’une enquête plus approfondie, mandat d’amener fut immédiatement lancé contre Lewis Robert Buxton, chef de l’agence DK de la Central Bank, inculpé de vol et de complicité de meurtre, et c’est pourquoi son signalement, que l’on connaissait bien, si on ignorait celui de ses complices, fut télégraphié dans toutes les directions.

Le coupable n’ayant pas encore quitté l’Angleterre, il allait être appréhendé, soit dans une ville de l’intérieur, soit à un port d’embarquement, succès rapide dont la police pourrait s’enorgueillir à juste titre.

Sur cette agréable perspective, magistrat et détectives gagnèrent leurs lits respectifs.

Or, cette même nuit, à deux heures du matin, cinq hommes, les uns complètement glabres, une forte moustache barrant le visage cuivré des autres, descendaient à Southampton de l’express de Londres, isolément, comme ils y étaient montés. Après avoir pris livraison de plusieurs colis, et notamment d’une grande malle très lourde, ils se firent conduire en voiture au bassin à flot, où attendait à quai un steamer de deux mille tonneaux environ, dont la cheminée vomissait une épaisse fumée.

À la marée de quatre heures, c’est-à-dire à un moment où tout dormait à Southampton et où le crime d’Old Broad Street y était encore inconnu, ce steamer se déhala du bassin, sortit des jetées et prit la mer.

Nul ne tenta de s’opposer à son départ. Et pourquoi, en vérité, aurait-on suspecté cet honnête bâtiment, chargé ouvertement de marchandises, disparates mais honorables, à destination de Cotonou, port du Dahomey ?

Le steamer s’éloigna donc paisiblement, avec ses marchandises, ses cinq passagers, leurs colis et leur grande malle, que l’un d’eux, le plus grand, avait fait déposer dans sa cabine, tandis que la police, interrompant son enquête, cherchait dans le sommeil un repos bien gagné.

Cette enquête, elle fut reprise le lendemain et les jours suivants, mais, ainsi que chacun le sait, elle ne devait pas aboutir. Les jours s’ajoutèrent aux jours, les cinq malfaiteurs demeurèrent inconnus, Lewis Robert Buxton demeura introuvable. Aucune lueur ne vint éclairer l’impénétrable mystère. On ne parvint même pas à découvrir à quelle maison appartenait le garçon charbonnier qui avait attiré un moment l’attention de la police. De guerre lasse, l’affaire fut classée.

La solution de l’énigme, la suite de ce récit la donnera, pour la première fois, entière et complète. Il appartiendra au lecteur de dire si on pourrait en imaginer de plus inattendue et de plus étrange.


II

un voyage d’étude

Konakry, chef-lieu de la Guinée française et résidence du lieutenant-gouverneur, est aujourd’hui une ville très agréable, dont les rues, intelligemment tracées d’après les plans du gouverneur Ballay, se coupent à l’angle droit et sont, en général, désignées par un simple numéro d’ordre, à la mode américaine. Bâtie sur l’île de Tombo, elle est séparée du continent par un étroit che-