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tailler comme ils l’espéraient, et durent repartir le lendemain 7 mars, n’ayant plus que deux jours de vivres devant eux. La situation n’avait encore, du reste, rien d’inquiétant. On avait fait alors plus de trois cents kilomètres depuis Kadou, c’est-à-dire plus de la moitié du parcours total, et tout portait à croire que les prochains villages auraient une attitude plus amicale que celle de Yaho.

Le chemin n’en ayant traversé aucun, la question ne put être tranchée pendant la journée du 7 mars, qui fut bonne au point de vue du nombre de kilomètres parcourus, mais au cours de laquelle survint un nouveau malheur. Un troisième cheval mourut, de la même manière qu’étaient morts les deux premiers.

— Quelqu’un réussirait-il donc, demanda Florence au docteur Châtonnay, à empoisonner nos animaux, malgré la surveillance dont nous les entourons ?

— C’est peu probable, répondit le docteur. L’empoisonnement doit être antérieur à notre départ de Kadou. Peut-être remonte-t-il au jour où notre escorte a déserté. Si nos chevaux meurent successivement, et non tous à la fois, cela doit tenir à la différence de leurs résistances individuelles et sans doute aussi à la différence des doses.

— En attendant, dit Amédée Florence, nous voici trois piétons contre quatre cavaliers. Ce n’est pas drôle !

Le 8 mars, ce ne fut pas sans inquiétude qu’on se remit en route. De quelque côté qu’on le considérât, l’avenir commençait à devenir sombre. On ne pouvait pas se dissimuler que la puissance adverse dont on se croyait à jamais débarrassé n’eût pris la précaution d’empoisonner les chevaux avant de disparaître, ce qui impliquait une persistance de haine aussi effrayante qu’inexplicable, et on s’attendait à voir tomber d’un instant à l’autre les quatre animaux survivants. D’autre part, on ne possédait plus qu’un seul jour de vivres, et on souffrirait de la faim, si un village n’était pas rencontré avant le coucher du soleil.

On n’eut même pas si longtemps à attendre. La première heure de marche n’était pas écoulée qu’une agglomération de cases apparaissait dans le lointain.

Les voyageurs s’arrêtèrent quelques instants, s’efforçant de prévoir l’accueil qui les attendait. Dans la vaste plaine qui se déployait sous leurs yeux, ils ne distinguèrent rien qui fût de nature à les renseigner. Autant qu’on en pouvait juger à cette distance, le village semblait mort, et l’étendue était déserte. On ne voyait que le haut tapis de la brousse, et la trouée du chemin, sur lequel, de place en place, on apercevait des taches noires, dont il était impossible de reconnaître la nature.

Après une courte halte, Barsac et ses compagnons se remirent en marche vers le village. Ils n’avaient pas fait un kilomètre qu’une odeur nauséabonde les saisit à la gorge. Quelques pas encore, et ils furent auprès d’une de ces taches noires qu’ils avaient remarquées de loin. Ils eurent un mouvement de recul. Cette tache noire, c’était le cadavre à demi putréfié d’un nègre. Jusqu’au village, le chemin était jalonné de la sorte. Ils purent compter dix de ces bornes funèbres.

— Voyez combien petite est l’entrée du projectile qui a frappé cet homme, dit à Amédée Florence le docteur Châtonnay qui examinait l’un des cadavres, et combien est grand au contraire son orifice de sortie, quand ces projectiles ont traversé les corps de part en part. D’autres ont rencontré des os et vous pouvez constater quels effroyables ravages ils ont produits dans ce cas. Ces hommes ont été tués par des balles explosibles.

— Encore ! s’écria Amédée Florence.

— Encore.