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renfort au lieutenant Lacour, et on l’a prié de montrer, à son tour, à notre compagne quelle folie elle était sur le point de commettre. Je suis convaincu qu’il aurait plaidé en pure perte, mais il n’a pas pris cette peine. Le lieutenant Lacour n’a pas prononcé une parole. Il a fait un geste évasif, et il a souri, d’un sourire que j’ai trouvé drôle, je ne saurais dire exactement pourquoi.

Donc, on a fait halte auprès de Kadou. Au moment où je vais me retirer sous ma toile particulière, le docteur Châtonnay me retient. Il me dit :

— Une chose dont je désire vous informer, monsieur Florence, c’est que les balles qui ont frappé les nègres de ce matin étaient des balles explosives.

Et il s’en va, sans attendre ma réponse.

Bon ! encore un mystère ! Des balles explosives, maintenant ! Qui peut user de pareilles armes ? Comment même de telles armes peuvent-elles exister dans cette contrée ?

Deux questions de plus à ajouter à ma collection qui s’enrichit sans cesse. Par contre, c’est ma collection de réponses qui n’augmente pas !

18 février. — Dernière nouvelle du jour, sans commentaire : notre escorte est partie. Je dis bien : partie.

J’insiste, parce que ce n’est pas croyable, et je répète : l’escorte est partie. Au réveil, il y a de cela trois ou quatre heures, nous ne l’avons plus trouvée. Elle s’était évaporée, volatilisée pendant la nuit, et, avec elle, tous les porteurs et tous les âniers sans exception.

On a compris ? Le lieutenant Lacour, ses deux sergents et ses vingt hommes ne sont pas allés faire un peu de footing matinal, pour revenir à l’heure du déjeuner. Ils sont partis, dé-fi-ni-ti-ve-ment par-tis.

Nous voici seuls dans la brousse, avec nos chevaux, nos armes personnelles, trente-six ânes, cinq jours de vivres, et Tongané.

Ah ! je voulais des aventures !…


XI

que faire ?


Quand les membres de la mission Barsac, arrivés de la veille à Kadou, constatèrent, en se réveillant, le 18 février, la disparition de leur escorte et de leur personnel noir au complet, ce fut une stupeur. Cette double défection, et en particulier celle de l’escorte, était si extraordinaire qu’ils se fussent pendant longtemps refusés à la croire définitive, si la preuve ne leur avait été aussitôt donnée que soldats et serviteurs étaient partis sans esprit de retour.

C’est Amédée Florence qui, sorti le premier de sa tente, avait donné l’éveil à ses compagnons. Tous, y compris Malik, qui avait passé la nuit dans la tente de Jane Mornas, furent réunis en un instant. Comme il arrive d’ordinaire, la discussion fut, au début, assez confuse. On échangeait plutôt des exclamations que des réflexions. Avant de chercher à organiser l’avenir, on commençait par s’étonner du présent.

Pendant qu’ils discouraient ainsi, un gémissement s’éleva d’un fourré voisin et leur apprit qu’ils n’étaient pas seuls, comme ils le supposaient. Saint-Bérain, Amédée Florence et le docteur Châtonnay coururent à l’endroit d’où le gémissement semblait provenir, et découvrirent Tongané, ficelé, bâillonné, et, qui plus est, portant une longue blessure au flanc gauche.

Tongané délivré de ses liens, ranimé et pansé, on l’interrogea. Moitié dans son petit nègre habituel, moitié en bambara, que traduisait, dans ce cas, Jane Mornas, Tongané raconta ce qu’il savait des événements de la nuit.