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LA GRANDE EXPÉRIENCE.


par le soin religieux qu’il avait d’exécuter avec ponctualité toutes les instructions de son maître.

Mais, parfois, les deux camarades se laissaient aller un peu plus loin dans leur ardeur à satisfaire le « petit père. » Il arrivait, par exemple, que Cyprien trouvait sur sa table — il prenait maintenant ses repas chez lui — des fruits ou des friandises qu’il n’avait nullement commandés, et dont l’origine restait inexpliquée, car on ne les voyait pas figurer sur les comptes des fournisseurs. Ou bien, c’étaient des chemises qui portaient, en revenant du blanchissage, des boutons d’or de provenance inconnue. Puis encore, de temps en temps, un siège élégant et commode, un coussin brodé, une peau de panthère, un bibelot de prix, venaient mystérieusement s’ajouter à l’ameublement de la maison.

Et, lorsque Cyprien interrogeait à ce sujet soit Lî, soit Matakit, il ne pouvait tirer d’eux que des réponses évasives :

« Je ne sais pas !… Ce n’est pas moi !… Cela ne me regarde pas !… »

Cyprien aurait aisément pris son parti de ces prévenances ; mais, ce qui les rendait gênantes, c’est qu’il se disait que la source n’en était peut-être pas très pure. Ces présents n’avaient-ils point coûté que la peine de les prendre ? Cependant, rien ne venait confirmer ces suppositions, et les enquêtes, souvent fort minutieuses, faites au sujet de ces étranges accessions, ne produisaient aucun résultat.

Et, derrière lui, Matakit et Lî échangeaient des sourires fuyants, des regards sournois, des signes cabalistiques, qui signifiaient évidemment :

« Eh ! le petit père !… Il n’y voit que du feu ! »

D’ailleurs, d’autres soucis, infiniment plus graves, occupaient l’esprit de Cyprien. John Watkins paraissait décidé à marier Alice, et, dans cette intention, depuis quelque temps, il faisait de sa demeure un véritable musée de prétendants. Non seulement James Hilton y était presque chaque soir en permanence, mais tous les mineurs célibataires, que le succès de leur exploitation semblait douer, dans l’opinion du fermier, des qualités indispensables au gendre qu’il avait rêvé, se voyaient attirés chez lui, retenus à dîner, et, finalement, offerts au choix de sa fille.

L’Allemand Friedel et le Napolitain Pantalacci étaient du nombre. Tous deux comptaient maintenant parmi les mineurs les plus heureux du camp de Vandergaart. La considération, qui s’attache partout au succès, ne leur faisait défaut ni au Kopje ni à la ferme. Friedel était plus pédant et plus tranchant