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L’ÉBOULEMENT.


Thomas Steel, qui était la plus rapprochée. On l’étendit sur la table qui servait d’ordinaire au triage des graviers, et il fut soumis à ces frictions systématiques, à ces mouvements de la cage thoracique, destinés à établir une sorte de respiration artificielle, qu’on met ordinairement en œuvre pour ranimer les noyés. Cyprien savait que ce traitement est également applicable à tous les genres d’asphyxie, et, dans le cas présent, il n’y avait pas autre chose à faire, car aucune plaie, aucune fracture, ni même aucun ébranlement sérieux n’étaient apparents.

« Voyez donc, monsieur Méré, il serre encore dans sa main une motte de terre ! » fit observer Thomas Steel, qui concourait de son mieux à frictionner ce grand corps noir.

Et il y allait de bon cœur, le brave fils du Lancashire ! S’il avait été en train de polir « à l’huile de bras, » comme on dit, l’arbre de couche d’une machine à vapeur de douze cents chevaux, il n’aurait pu appliquer à son opération une poigne plus énergique !

Ces efforts ne tardèrent pas à donner un résultat appréciable. La raideur cadavérique du jeune Cafre parut se relâcher peu à peu. La température de sa peau se modifia sensiblement. Cyprien, qui épiait, au niveau du cœur, le moindre signe de vie, crut percevoir sous sa main un faible frémissement de bon augure.

Bientôt, ces symptômes s’accentuèrent. Le pouls se mit à battre, une inspiration légère souleva d’une manière presque insensible la poitrine de Matakit ; puis, une expiration plus forte indiqua un retour manifeste aux fonctions vitales.

Tout à coup, deux éternuements vigoureux secouèrent de la tête aux pieds cette grande carcasse noire, naguère encore si complètement inerte. Matakit ouvrit les yeux, respira, reprit connaissance.

« Hurrah ! hurrah ! Le camarade est hors d’affaire ! cria Thomas Steel, qui, ruisselant de sueur, suspendit ses frictions. Mais voyez donc, monsieur Méré, il ne lâche toujours pas cette motte de terre qu’il serre dans ses doigts crispés ! »

Le jeune ingénieur avait bien d’autres soins que de s’arrêter à observer ce détail ! Il faisait avaler une cuillerée de rhum à son malade, il le soulevait pour lui faciliter le travail respiratoire. Finalement, lorsqu’il le vit bien revenu à la vie, il l’enveloppa dans des couvertures, et, avec l’aide de trois ou quatre hommes de bonne volonté, il le transporta dans sa propre habitation à la ferme Watkins.