Page:Verne - L’Étoile du sud, Hetzel, 1884.djvu/65

Cette page a été validée par deux contributeurs.
61
MŒURS DU CAMP.

Et que ferait-il de ces pièces d’argent, l’ambitieux Matakit ?

Eh bien, il se procurerait une capote rouge, un fusil et de la poudre, puis rentrerait à son kraal. Là, il achèterait une femme, qui travaillerait pour son compte, soignerait sa vache et cultiverait son champ de maïs. Dans ces conditions, il serait un homme considérable, un grand chef. Tout le monde envierait son fusil et sa haute fortune, et il mourrait chargé d’ans et de considération. Ce n’était pas plus compliqué.

Cyprien resta tout songeur en écoutant ce programme si simple. Fallait-il donc le modifier, élargir l’horizon de ce pauvre sauvage, montrer pour but à son activité des conquêtes plus importantes qu’une capote rouge et un fusil à pierre ? Ou ne valait-il pas mieux lui laisser son ignorance naïve, afin qu’il s’en allât achever en paix, dans son kraal, la vie qu’il enviait ? Question grave, que le jeune ingénieur n’osait résoudre, mais que Matakit se chargea bientôt de trancher.

En effet, à peine en possession des premiers éléments de la langue française, le jeune Cafre montra une avidité extraordinaire pour apprendre. Il questionnait sans cesse, il voulait tout savoir, le nom de chaque objet, son usage, son origine. Puis, ce furent la lecture, l’écriture, le calcul, qui le passionnèrent. En vérité, il était insatiable !

Cyprien en eut bientôt pris son parti. Devant une vocation aussi évidente, il n’y avait pas à hésiter. Il se décida donc à donner tous les soirs une leçon d’une heure à Matakit, qui, en dehors des travaux de la mine, consacra à son instruction tout le temps dont il pouvait disposer.

Miss Watkins, touchée elle aussi de cette ardeur peu commune, entreprit de faire répéter ses leçons au jeune Cafre. Il se les récitait, d’ailleurs, à lui-même tout le long du jour, soit pendant qu’il donnait de grands coups de pioche au fond du claim, soit quand il hissait les seaux de terre ou triait les cailloux. Sa vaillance à l’ouvrage était si communicative, qu’elle gagnait tout le personnel, comme une contagion, et le travail de la mine semblait se faire avec plus de soin.

D’ailleurs, sur la recommandation de Matakit lui-même, Cyprien avait pris à gages un autre Cafre de sa tribu, nommé Bardik, dont le zèle et l’intelligence méritaient également d’être appréciés.

C’est alors que le jeune ingénieur eut une chance qui ne lui était pas encore arrivée : il trouva une pierre de près de sept carats, qu’il vendit immédiatement cinq mille francs, toute fruste, au courtier Nathan.