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MŒURS DU CAMP.


domaine public ! Inutile de dire si Annibal Pantalacci en faisait son profit pour le plus grand amusement des mineurs du Kopje.

Une autre victime habituelle des mauvaises plaisanteries de ce Napolitain était, comme par le passé, le Chinois Lî.

Lui aussi, il s’était établi au Vandergaart-Kopje, où il avait tout simplement ouvert une blanchisserie, et l’on sait si les enfants du Céleste Empire s’entendent à ce métier de blanchisseurs !

En effet, cette fameuse boîte rouge, qui avait tant intrigué Cyprien, pendant les premiers jours de son voyage du Cap au Griqualand, ne renfermait rien que des brosses, de la soude, des pains de savon et du bleu-azur. En somme, il n’en fallait pas plus à un Chinois intelligent pour faire fortune en ce pays !

En vérité, Cyprien ne pouvait s’empêcher de rire, lorsqu’il rencontrait Lî, toujours silencieux et réservé, chargé de son grand panier de linge qu’il rapportait à ses pratiques.

Mais ce qui l’exaspérait, c’est qu’Annibal Pantalacci était véritablement féroce avec le pauvre diable. Il lui jetait des bouteilles d’encre dans son baquet à lessive, tendait des cordes en travers de sa porte pour le faire tomber, le clouait sur son banc en lui plantant un couteau dans le pan de sa blouse. Surtout, il ne manquait pas, lorsque l’occasion s’en présentait, de lui allonger un coup de pied dans les jambes en l’appelant « chien de païen ! » et, s’il lui avait octroyé sa clientèle, c’était tout exprès pour se livrer hebdomadairement à cet exercice. Jamais il ne trouvait son linge assez bien blanchi, quoique Lî le lavât et le repassât à merveille. Pour le moindre faux pli, il entrait dans des colères épouvantables et il rossait le malheureux Chinois comme si celui-ci eût été son esclave.

Tels étaient les grossiers plaisirs du camp ; mais, parfois, ils tournaient au tragique. S’il arrivait, par exemple, qu’un nègre, employé dans la mine, fût accusé du vol d’un diamant, tout le monde se faisait devoir d’escorter le coupable devant le magistrat, en le bourrant préalablement de solides coups de poing. De telle sorte que, si, d’aventure, le juge acquittait le prévenu, les coups de poing ne lui en restaient pas moins pour compte ! Il faut dire, d’ailleurs, qu’en pareil cas, les acquittements étaient rares. Le juge avait plus tôt fait de prononcer une condamnation que d’avaler un quartier d’orange au sel, — un des plats favoris du pays. La sentence portait d’ordinaire une condamnation à quinze jours de travaux forcés et à vingt coups de cat of nine tails, ou « chat à