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L’ÉTOILE DU SUD.

Ces sombres pensées, quand elles s’emparaient de son cerveau, lui mettaient la mort dans l’âme. Si, par malheur, il apercevait un « prospecteur[1] » errant autour de son logis, il en perdait le boire et le manger !… Et pourtant, il engraissait toujours !

Un de ses persécuteurs les plus acharnés était maintenant Annibal Pantalacci. Ce méchant Napolitain — qui, par parenthèse, semblait prospérer à souhait, car il employait trois Cafres sur son claim et arborait un énorme diamant au devant de sa chemise — avait découvert la faiblesse du malheureux Boër. Aussi se donnait-il, au moins une fois par semaine, le plaisir médiocrement drôle d’aller exécuter des sondages ou bêcher la terre aux environs de la ferme Pretorius.

Ce domaine s’étendait sur la rive gauche du Vaal, à deux milles environ au dessus du camp, et il comprenait des terrains alluviaux qui pouvaient, effectivement, fort bien être diamantifères, quoique rien jusqu’à ce jour ne fût venu l’indiquer.

Annibal Pantalacci, pour mener à bien cette sotte comédie, avait soin de se placer très en vue, devant les fenêtres mêmes de Mathys Pretorius, et, la plupart du temps, il emmenait avec lui quelques compères pour leur donner l’agrément de cette mystification.

On pouvait voir alors le pauvre homme, à demi caché derrière son rideau de cotonnade, suivre avec anxiété tous leurs mouvements, épier leurs gestes, prêt à courir à l’étable et à atteler son autruche pour s’enfuir, s’il se croyait menacé d’une invasion sur son domaine.

Aussi, pourquoi avait-il eu le malheur de confier à un de ses amis qu’il tenait nuit et jour son oiseau de trait tout harnaché, et le caisson de son char-à-bancs garni de provisions, pour être en mesure de décamper au premier symptôme décisif ?

« Je m’en irai chez les Bushmen, au nord du Limpopo ! disait-il. Il y a dix ans, je faisais avec eux le commerce de l’ivoire, et mieux vaudrait cent fois, je vous l’assure, se trouver au milieu des sauvages, des lions et des chacals, que de rester parmi ces Anglais insatiables ! »

Or, le confident de l’infortuné fermier n’avait rien eu de plus pressé, — selon l’invariable coutume des confidents, — que de mettre ces projets dans le

  1. On appelle ainsi les gens qui vont à la recherche d’un gisement de minerai ou de pierres précieuses, soit en s’en remettant au hasard du soin de le leur faire rencontrer, soit en procédant à des sondages systématiques.