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L’ÉTOILE DU SUD.


peut dire que notre État, fondé sur le respect scrupuleux de la loi, sur le libre développement des énergies individuelles et sur l’instruction répandue à flots dans toutes les classes, pourrait encore servir de modèle à bien des nations, qui doivent se croire plus civilisées qu’un petit État de l’Afrique australe !

« Le Griqualand en faisait partie. C’est alors que je m’établis, comme fermier, dans la maison où nous sommes en ce moment, avec ma pauvre femme et mes deux enfants ! C’est alors que je traçais mon kraal ou parc à bestiaux sur l’emplacement même de la mine où vous travaillez ! Dix ans plus tard, John Watkins arriva dans le pays et y bâtit sa première case. On ignorait alors qu’il y eût des diamants sur ces terrains, et, pour mon compte, j’avais eu si peu d’occasions, depuis plus de trente ans, de pratiquer mon ancien métier, que c’est à peine si je me rappelais l’existence de ces pierres précieuses !

« Tout à coup, vers 1867, le bruit se répandit que nos terres étaient diamantifères. Un Boër des bords de l’Hart avait trouvé des diamants jusque dans les déjections de ses autruches, jusque dans les murs d’argile de sa ferme[1].

« Aussitôt le gouvernement anglais, fidèle à son système d’accaparement, au mépris de tous les traités et de tous les droits, déclara que le Griqualand lui appartenait.

« En vain notre République protesta !… En vain, elle offrit de soumettre le différend à l’arbitrage d’un chef d’État européen !… L’Angleterre refusa l’arbitrage et occupa notre territoire.

« Du moins pouvait-on espérer encore que les droits privés seraient respectés de nos injustes maîtres ! Pour mon compte, resté veuf et sans enfants, à la suite de la terrible épidémie de 1870, je ne me sentais plus le courage d’aller chercher une nouvelle patrie, de me refaire un nouveau foyer, — le sixième ou le septième de ma longue carrière ! Je restai donc en Griqualand.

  1. Ce Boër s’appelait Jacobs. Un certain Niekirk, négociant hollandais, qui voyageait par là en compagnie d’un chasseur d’autruches nommé O’Reilly, reconnut dans les mains des enfants du Boër, qui s’en amusaient, un diamant qu’il acheta pour quelques sous et qu’il vendit douze mille cinq cents francs à sir Philip Woodehouse, gouverneur du Cap. Cette pierre, immédiatement taillée et expédiée à Paris, figura à l’exposition universelle du Champ de Mars, en 1867. Depuis cette époque, une valeur moyenne de quarante millions en diamants a été annuellement extraite du sol du Griqualand. Une circonstance assez curieuse, c’est que l’existence des gisements diamantifères, en ce pays, avait été connue jadis, puis oubliée. De vieilles cartes du XVe siècle portent en ce point la mention Here Diamonds. « Ici il y a des diamants. »