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PREMIÈRE EXPLOITATION.

« Je suis né à Amsterdam en 1806, pendant un voyage que mes parents y avaient fait. Plus tard, j’y suis revenu pour apprendre mon métier, mais toute mon enfance s’est passée au Cap, où ma famille avait émigré depuis une cinquantaine d’années. Nous étions Hollandais et très fiers de l’être, lorsque la Grande-Bretagne s’empara de la colonie, — à titre provisoire, disait-elle ! Mais, John Bull ne lâche pas ce qu’il a une fois pris, et, en 1815, nous fûmes solennellement déclarés sujets du Royaume-Uni, par l’Europe assemblée en Congrès !

« Je vous demande un peu de quoi l’Europe se mêlait à propos de provinces africaines !

« Sujets anglais, mais nous ne voulions pas l’être, monsieur Méré ! Dès lors, pensant que l’Afrique était assez vaste pour nous donner une patrie qui fût bien à nous, — à nous seuls ! — nous quittâmes la colonie du Cap pour nous enfoncer dans les terres encore sauvages qui bordaient la contrée vers le nord. On nous appelait « Boërs, » c’est-à-dire paysans, ou encore « Voortrekkers, » c’est-à-dire pionniers avancés.

« À peine avions-nous défriché ces territoires neufs, à peine nous y étions-nous créé, à force de travail, une existence indépendante, que le gouvernement britannique les réclama comme siens, — toujours sous ce prétexte que nous étions sujets anglais !

« Alors eut lieu notre grand exode. C’était en 1833. De nouveau, nous émigrâmes en masse. Après avoir chargé sur des wagons, attelés de bœufs, nos meubles, nos outils et nos grains, nous nous enfonçâmes plus avant dans le désert.

« À cette époque, le territoire de Natal était presque entièrement dépeuplé. Un conquérant sanguinaire, nommé Tchaka, véritable Attila nègre de la race des Zoulous, y avait exterminé plus d’un million d’êtres humains, de 1812 à 1828. Son successeur Dingaan y régnait encore par la terreur. Ce fut ce roi sauvage qui nous autorisa à nous établir dans le pays où s’élèvent aujourd’hui les villes de Durban et de Port-Natal.

« Mais, c’était dans l’arrière-pensée de nous attaquer, quand notre état serait prospère, que ce fourbe de Dingaan nous avait donné cette autorisation ! Aussi, chacun s’arma-t-il pour la résistance, et ce n’est que par des efforts inouïs, et, je puis le dire, par des prodiges de valeur, pendant plus de cent combats, dans lesquels nos femmes et nos enfants mêmes luttaient à nos côtés, qu’il nous fut possible de rester en possession de ces terres, arrosées de nos sueurs et de notre sang.