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L’ÉTOILE DU SUD.


dînaient à une des nombreuses tables d’hôte qui se partageaient la clientèle du camp. Le soir, après s’être séparés pour aller chacun de son côté, Thomas Steel se rendait à quelque salle de billard, pendant que Cyprien entrait pour une heure ou deux à la ferme. Le jeune ingénieur avait fréquemment le déplaisir d’y rencontrer son rival, James Hilton, un grand garçon aux cheveux roux, au teint blanc, la face criblée de ces taches que l’on appelle des éphélides. Que ce rival fît évidemment des progrès rapides dans la faveur de John Watkins, en buvant encore plus de gin et en fumant encore plus de tabac de Hambourg que lui, cela n’était pas douteux.

Alice, il est vrai, ne semblait avoir que le plus parfait dédain pour les élégances villageoises et la conversation peu relevée du jeune Hilton. Mais sa présence n’en était pas moins insupportable à Cyprien. Aussi, parfois, incapable de la souffrir, se sentant inhabile à se maîtriser, il disait bonsoir à la compagnie et s’en allait.

« Le Frenchman n’est pas content ! disait alors John Watkins en clignant de l’œil à son compère. Il paraît que les diamants ne viennent pas tout seuls sous sa pioche ! »

Et James Hilton de rire le plus bêtement du monde.

Le plus souvent, ces soirs-là, Cyprien entrait achever sa veillée chez un vieux brave homme de Boër, établi tout près du camp, qui s’appelait Jacobus Vandergaart.

C’est de son nom que venait celui du Kopje, dont il avait autrefois occupé le sol aux premiers temps de la concession. Même, s’il fallait l’en croire, c’était par un véritable déni de justice qu’il en avait été dépossédé au profit de John Watkins. Complètement ruiné maintenant, il vivait, dans une vieille case de terre, de ce métier de tailleur de diamants qu’il avait jadis exercé à Amsterdam, sa ville natale.

Il arrivait assez souvent, en effet, que les mineurs, curieux de connaître le poids exact que garderaient leurs pierres une fois taillées, les lui apportaient, soit pour les cliver, soit pour les soumettre à des opérations plus délicates. Mais ce travail exige une main sûre et une bonne vue, et le vieux Jacobus Vandergaart, excellent ouvrier en son temps, avait aujourd’hui grand-peine à exécuter les commandes.

Cyprien, qui lui avait donné à monter en bague son premier diamant, s’était bien vite pris d’affection pour lui. Il aimait à venir s’asseoir dans le modeste