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L’ÉTOILE DU SUD.


dois savoir accepter virilement ce verdict, quelque douloureux qu’il soit, et compter sur les retours de l’avenir ! »

Sans hésiter davantage, Cyprien s’occupa d’empaqueter ses appareils dans les caisses qu’il avait gardées pour s’en servir en guise de buffets et d’armoires. Il s’était mis avec ardeur à la besogne, et il travaillait activement, depuis une heure ou deux, quand, par la fenêtre ouverte, à travers l’atmosphère matinale, une voix fraîche et pure, montant comme un chant d’alouette du pied de la terrasse, arriva jusqu’à lui, portée sur une des plus charmantes mélodies du poète Moore :

It is the last rose of summer,
      Left blooming alone
All her lovely companions
      Are faded and gone, etc.


« C’est la dernière rose de l’été, — restée seule en fleur ; — toutes ses aimables compagnes – sont fanées ou mortes. »

Cyprien courut à la fenêtre et aperçut Alice, qui se dirigeait vers l’enclos de ses autruches, son tablier plein de friandises à leur goût. C’était elle qui chantait au soleil levant.

I will not leave thee, thou lone one !
      To pine on the stem,
Since the lovely are sleeping,
      Go sleep with them…


« Je ne te laisserai pas, — toi toute seule, — languir sur ta tige. — Puisque les autres belles sont allées dormir, — va, dors avec elle. »

Le jeune ingénieur ne s’était jamais cru particulièrement sensible à la poésie, et, pourtant, celle-là le pénétra profondément. Il se tint prés de la croisée, retenant son haleine, écoutant, ou, pour mieux dire, buvant ces douces paroles.

La chanson s’arrêta. Miss Watkins distribuait leur pâtée à ses autruches, et c’était plaisir de les voir allongeant leurs grands cous et leurs becs maladroits au devant de sa petite main taquine. Puis, lorsqu’elle eut fini la distribution, elle remonta, toujours chantant :

It is the last rose of summer,
      Left blooming alone
Oh ! who would inhabit
      This black world alone ?…