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JUSTICE VÉNITIENNE.

Il pouvait avoir dormi deux ou trois heures, lorsque le bruit de la porte qui s’ouvrait le réveilla en sursaut.

Cinq hommes, masqués de noir, armés de revolvers et de fusils, pénétraient dans sa chambre. Ils étaient munis de ces espèces de lanternes à verre convexe qu’on appelle au pays anglais Bull’s eyes, — des œils de bœuf, — et ils vinrent se ranger en silence autour du lit.

Cyprien n’eut pas un instant l’idée de prendre au sérieux cette manifestation plus ou moins tragique. Il crut à quelque plaisanterie et se mit d’abord à rire, quoique, à dire vrai, il n’en eût guère envie et trouvât la facétie d’un goût détestable.

Mais une main brutale s’abattit sur son épaule, et l’un des hommes masqués, ouvrant un papier qu’il tenait à la main, procéda d’une voix qui n’avait rien de plaisant, à la lecture suivante :

« Cyprien Méré,

« Ceci est pour vous signifier que le tribunal secret du camp de Vandergaart, siégeant au nombre de vingt-deux membres et agissant au nom du salut commun, vous a, ce jour, à l’heure de minuit vingt-cinq minutes, condamné à l’unanimité à la peine de mort.

« Vous êtes atteint et convaincu d’avoir, par une découverte intempestive et déloyale, menacé dans leurs intérêts et dans leur vie, dans celle de leurs familles, tous les hommes qui, soit en Griqualand, soit ailleurs, ont pour industrie la recherche, la taille et la vente des diamants.

« Le tribunal, statuant dans sa sagesse, a jugé qu’une telle découverte devait être anéantie, et que la mort d’un seul était préférable à celle de plusieurs milliers de créatures humaines.

« Il a décrété que vous auriez dix minutes pour vous préparer à mourir, que le choix de cette mort vous serait laissé, que tous vos papiers seraient brûlés, à l’exception de telle communication ouverte qu’il vous conviendra de laisser à l’adresse de vos proches, et que votre habitation serait rasée au niveau du sol.

« Ainsi soit fait à tous les traîtres ! »

En s’entendant ainsi condamner, Cyprien commença à être fortement ébranlé dans sa confiance première, et il se demanda si cette comédie sinistre, étant données les mœurs sauvages du pays, n’était pas plus sérieuse qu’il ne l’avait cru.

L’homme, qui le tenait par l’épaule, se chargea de lever ses derniers doutes à cet égard.