Page:Verne - L’Étoile du sud, Hetzel, 1884.djvu/206

Cette page a été validée par deux contributeurs.
202
L’ÉTOILE DU SUD.

— Peut-être même n’avez-vous pas dîné ? s’écria Alice avec l’instinct d’une parfaite petite ménagère qu’elle était.

— Je l’avoue ! répondit Cyprien en rougissant, quoiqu’il n’y eût vraiment pas de quoi.

— Oh ! mais vous ne pouvez pas vous en aller ainsi sans manger, monsieur Méré !… Un convalescent… après un voyage si pénible !… Pensez donc qu’il est onze heures du soir ! »

Et, sans écouter ses protestations, elle courut à l’office, revint avec un plateau couvert d’un linge blanc, de quelques assiettes de viandes froides et d’une belle tarte aux pêches qu’elle avait faite elle-même.

Le couvert fut bientôt mis devant Cyprien, tout confus. Et, comme il semblait hésiter à porter le couteau dans un superbe « biltong, » sorte de conserve d’autruche :

« Faut-il vous le découper ? » dit miss Watkins en le regardant avec son plus frais sourire.

Bientôt le fermier, mis en appétit par ce déploiement gastronomique, réclama à son tour une assiette et une tranche de biltong. Alice n’eut garde de le faire attendre, et, uniquement pour tenir compagnie à ces messieurs, comme elle disait, elle se mit à grignoter des amandes.

Ce souper improvisé fut charmant. Jamais le jeune ingénieur ne s’était senti en si triomphant appétit. Il revint trois fois à la tarte aux pêches, but deux verres de vin de Constance, et couronna ses exploits en consentant à goûter le gin de Mr. Watkins, — lequel d’ailleurs ne tarda pas à se rendormir tout à fait.

« Et qu’avez-vous fait depuis trois mois ? demanda Cyprien à Alice. Je crains bien que vous n’ayez oublié toute votre chimie !

— Non, monsieur, c’est ce qui vous trompe ! répondit miss Watkins d’un petit ton de reproche. Je l’ai beaucoup étudiée, au contraire, et même je me suis permis d’aller faire quelques expériences dans votre laboratoire. Oh ! Je n’ai rien cassé, soyez tranquille, et j’ai tout remis en ordre ! J’aime beaucoup la chimie, décidément, et, pour être franche, je ne comprends pas que vous puissiez renoncer à une si belle science pour vous faire mineur ou coureur de Veld !

— Mais, cruelle miss Watkins, vous savez bien pourquoi j’ai renoncé à la chimie !

— Je n’en sais rien du tout, répondit Alice en rougissant, et je trouve que