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L’ÉTOILE DU SUD.

Tonaïa se doutait-il de la prodigieuse richesse qu’il avait ainsi à sa disposition ? c’est peu probable, car Pharamond Barthès, peu ferré en ces matières, ne paraissait pas lui-même soupçonner un seul instant que ces merveilleux cristaux fussent des pierres fines. Sans doute, le roi nègre se croyait simplement le maître et le gardien d’une grotte particulièrement curieuse, dont un oracle ou quelque autre superstition traditionnelle l’empêchait de livrer le secret.

Ce qui sembla confirmer cette opinion, c’est la remarque que fit bientôt Cyprien du grand nombre d’ossements humains, entassés par places dans certains coins de la caverne. Était-elle donc le lieu de sépulture de la tribu, ou bien, — supposition plus horrible et pourtant vraisemblable, — avait-elle servi, servait-elle encore à célébrer quelques affreux mystères dans lesquels on versait le sang humain, peut-être dans un intérêt de cannibalisme ?

C’était vers cette dernière opinion qu’inclinait Pharamond Barthès, et il le dit à voix basse à son ami.

« Tonaïa m’a pourtant affirmé que, depuis son avènement, jamais pareille cérémonie n’a eu lieu ! ajouta-t-il. Mais, je l’avoue, le spectacle de ces ossements ébranle singulièrement ma confiance ! »

Il en montrait un énorme tas, qui semblait récemment formé, et sur lesquels on voyait des marques évidentes de cuisson.

Cette impression ne devait être que trop pleinement confirmée, quelques instants plus tard.

Le roi et ses deux hôtes venaient d’arriver au fond de la grotte, devant l’ouverture d’un enfoncement comparable à une de ces chapelles latérales, qui sont ménagées sur les bas côtés des basiliques. Derrière la grille de bois de fer qui en fermait l’entrée, un prisonnier était enfermé dans une cage de bois, tout juste assez large pour lui permettre de s’y tenir accroupi, destiné, — ce n’était que trop visible, — à être engraissé pour quelque repas prochain.

C’était Matakit.

« Vous !… vous !… petit père ! s’écria l’infortuné Cafre, dès qu’il aperçut et reconnut Cyprien. Ah ! emmenez-moi !… Délivrez-moi !… J’aime encore mieux retourner en Griqualand, dussé-je y être pendu, que de rester dans cette cage à poulets, en attendant l’horrible supplice que le cruel Tonaïa me réserve avant de me dévorer ! »

Ceci fut dit d’une voix si lamentable que Cyprien se sentit tout ému en entendant le pauvre diable.