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L’ÉTOILE DU SUD.

vait avoir fait bien du chemin à travers cette région, et être revenu au campement.

Cela convenu, Lî ne voulut pas perdre un instant. Quant à la question de repos, il s’en préoccupait peu ! Il saurait bien se passer de sommeil ! Il dit donc adieu à Cyprien, en lui baisant la main, reprit sa girafe, sauta dessus et disparut dans la nuit.

Pour la première fois depuis son départ de Vandergaart-Kopje, Cyprien se trouvait seul en plein désert. Il se sentait profondément attristé et ne put s’empêcher, quand il se fut roulé dans sa couverture, de s’abandonner aux plus lugubres pronostics. Isolé, presque à bout de vivres et de munitions, qu’allait-il devenir dans ce pays inconnu, à plusieurs centaines de lieues de toute région civilisée ? Rejoindre Matakit, c’était maintenant une chance bien faible ! Ne pouvait-il pas se trouver à un demi-kilomètre de lui, sans qu’il en eût le moindre soupçon ? Décidément, cette expédition était désastreuse et n’avait été marquée que par des événements tragiques ! Presque chaque centaine de milles, faite en avant, avait coûté la vie à un de ses membres ! Un seul restait maintenant… lui… ! Était-il donc destiné à finir misérablement comme les autres ?

Telles étaient les tristes réflexions de Cyprien, qui parvint cependant à s’endormir.

La fraîcheur du matin et le repos qu’il venait de goûter donnèrent un tour plus confiant à ses pensées, lorsqu’il se réveilla. En attendant le retour du Chinois, il résolut de faire l’ascension de la haute colline, au pied de laquelle il s’était arrêté. Il pourrait ainsi explorer du regard une plus vaste étendue de pays et peut-être arriver, au moyen de sa lorgnette, à découvrir quelque trace de Matakit. Mais, pour le faire, il devenait indispensable de se séparer de sa girafe, aucun naturaliste n’ayant jamais classé ces quadrupèdes dans la famille des grimpeurs.

Cyprien commença donc par la débarrasser du licou si ingénieusement fabriqué par Lî ; puis, il l’attacha par le jarret à un arbre, entouré d’une herbe épaisse et drue, en lui laissant une longueur de corde suffisante pour qu’elle pût paître tout à son aise. Et en vérité, si l’on ajoutait la mesure de son cou à celle de la corde, le rayon d’action de cette gracieuse bête ne laissait pas d’être fort étendu.

Ces préparatifs achevés, Cyprien mit son fusil sur une épaule, sa couverture sur l’autre, et, après avoir dit adieu d’une tape amicale à sa girafe, il commença l’ascension de la montagne.